Le « métavers » une pierre de plus dans le jardin de l’immobilier ?

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Richard Dalleau

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Richard Dalleau

La création d’internet a permis de connecter l’information aux êtres humains.  L’émergence des réseaux sociaux en balayant les frontières physiques du temps et de l’espace nous a donné la possibilité de communiquer les uns avec les autres. Aujourd’hui, la troisième version d’internet, supplante le monde réel pour en créer un nouveau. Le « métavers » ou plutôt les « métavers », car il en existe plusieurs, est l’avenir tangible du numérique. Celui qui se code sous nos yeux.

Il n’y a pas, à date, de définition officielle du « métavers ». Cependant, le métavers est un néologisme apparu, en 1992, dans l’œuvre de l’écrivain Neil Stephenson « le Samouraï Virtuel » et est l’addition du préfixe « méta » et du mot « univers » (métaverse en anglais). Il désigne « un univers numérique et connecté accessible avec le matériel adéquat, dans lequel les utilisateurs réalisent des actions en incarnant des avatars. Ce mot est un synonyme de cyberespace et de cybermonde ».

D’ores et déjà nous pouvons anticiper les bouleversements socio-économiques infinis et vertigineux en trainaient dans le sillage de ce nouveau monde. De sorte qu’il s’agit, ni plus ni moins, de la création d’un monde virtuel dans lequel, par le truchement d’un avatar, l’être humain est totalement immergé. Les plus enthousiastes définissent cette avancée technologique majeure comme l’avenir de l’humanité. D’ailleurs, selon eux, il ne s’agit pas simplement d’un avatar mais plutôt d’un double virtuel.

Dès lors, de même que dans le monde réel, à travers nos avatars, nous pourrions accomplir les activités qui rythment nos vies – travailler, assister à un concert ou à des compétitions sportives, acheter et vendre des biens et des services, se marier….  La volonté la plus profonde des « GAFAM », Facebook   notamment – devenu l’entreprise « Méta » en octobre 2021 -, est de favoriser la convergence du monde physique et digital, d’aller au-delà de leurs frontières grâce à leur effacement.

Plus encore, la quête qu’ils semblent poursuivre s’apparente désormais au développement d’une réalité alternative davantage qu’au développement d’un monde virtuel complémentaire du monde réel.

Ces possibilités existent déjà mais ne sont pas encore démocratisées. Néanmoins, cette évolution conjuguée à la technologie de la blockchain, des cryptomonnaies, de la 5G voire de la 6G constituent les pièces principales d’un monde virtuel qui s’élaborent et se matérialisent.

Sans prétendre répondre aux questions philosophiques et sociales dont ça n’est pas ici l’objet, nous tenterons d’expliquer les bouleversements que pourraient provoquer le développement de l’ensemble de ces technologies sur le secteur de l’immobilier.

Une évolution aux allures de révolution.

Nonobstant, la prééminence du monde réel et de son économie, l’économie virtuelle se développe. Si bien que l’ensemble des secteurs économiques doivent intégrer, selon leurs activités, soit comme une opportunité soit comme une menace, ce nouveau paramètre. Ainsi, les secteurs liés aux activités économiques du divertissement sont déjà très actifs dans cet univers.

Ainsi, le club de football Manchester City a annoncé avoir construit son stade dans un cybermonde, le chanteur Justin Bieber a effectué un concert dans un des « métavers », et a été suivi par des spectateurs du monde entier en immersion à travers leurs avatars.

Alors que l’immobilier apparaît, a priori, comme un secteur hermétique à cette révolution, puisqu’ ancrer physiquement dans un territoire et dans un marché spécifique, il n’en demeure pas moins comme un des premiers secteurs dont les actifs s’échangent virtuellement. A l’instant où ces lignes sont écrites, la technologie de la blockchain permet de diviser des titres de propriétés. Aux Etats-Unis, bien que les cryptomonnaies ne soit pas une devise officielle en raison de leurs trop grandes volatilités de nombreuses transactions immobilières ont été réalisées grâce à la conjugaison de ces deux technologies.

En France, à date, seule une transaction a été menée de manière 100% digitalisées après avoir fait l’objet d’un acte notarié servant à valider la valeur du bien. De fait, la numérisation intégrale transforme les biens immobiliers en actif entièrement liquides.  Par conséquent, si la liquidité de l’immobilier devient l’égale des autres actifs – actions, obligations – alors il est évident que cette technologie participera à la financiarisation du secteur.

Sans que cela bouleverse le marché, ces exemples démontrent la porosité entre ces deux univers et probablement les changements profonds à venir pour l’ensemble des professions – notaire, agents immobilier, investisseurs, établissements financier- intervenants sur la chaîne de l’immobilier.  Etant donné, le volume d’actifs échangés et de documents administratifs générés par le secteur, il est compréhensible de constater que, finalement, l’immobilier est un des premiers actifs à bénéficier de cette technologie. « Cette technologie apporte la décentralisation, la transparence, l’automatisation contractuelle et la traçabilité nécessaires sur un marché où la preuve et l’authenticité sont essentielles. »[1]

Si cet exemple de transaction est assis sur un bien immobilier physique et a nécessité la participation d’un tiers physique, dans le métavers l’activité immobilière se détache davantage de la réalité.

Ainsi, des entreprises aux Etats-Unis, notamment dans le secteur de l’immobilier, ont créé dans le « métavers » leur siège social, leurs bureaux tout en s’appuyant sur une activité commerciale assise sur des produits situés dans le monde physique. Dès lors, cette stratégie porte un double avantage :

  • de capter davantage de flux dans le « métavers » comparativement au monde physique, la potentialité du nombre de client n’a de limite que celui d’utilisateur du « métavers » . Autrement dit aucune ;
  • au-delà de la potentialité du marché c’est la baisse des coûts qui semble être l’avantage concurrentiel le plus intéressant.

En outre, si les entreprises ne sont plus que des entités juridiques qui implantent leurs sièges ou leurs antennes dans le « métavers », ajoutés au potentiel développement du télétravail, la part de la construction de l’immobilier tertiaire risque de décroître. La conjugaison de ses facteurs, qui sont, le résultat de la sédentarisation de la société, pourrait conduire à une déstabilisation de l’ensemble du secteur de l’immobilier, tertiaire et résidentiel.

La primauté du virtuel sur le réel

Dans cet univers entièrement numérisé, les premières constructions et transactions ont déjà eu lieu. Ainsi, un particulier à travers son avatar peut aujourd’hui être tenté d’acquérir un actif immobilier dans le « métavers » soit pour y faire vivre son avatar, soit dans un but purement spéculatif, soit les deux. Par conséquent, son investissement ne profitera pas à l’économie réelle. Le marché immobilier de l’existant sera amputé de cet investissement. Au-delà de la captation de la valeur par le monde virtuel, les conséquences pour les finances publiques seront, si les volumes sont importants, déstabilisatrices pour les Etats. C’est ainsi qu’un investisseur a dépensé 450 000 dollars pour acquérir une parcelle de terrain juxtaposant la maison du rappeur Snoop Dogg. Cet investissement purement spéculatif vise à favoriser une rentabilité immédiate, sans que cela profite aux finances publiques des Etats-Unis.

En sus, même si les taux sont encore solvabilisateurs pour la demande, les conditions du marché pourraient évoluer. Le contexte international, les tensions existantes sur le marché des matières premières et le resserrement des conditions d’octroi imposées par le HCSF semblent, pour les primoaccédants des barrières à l’entrée du marché qui apparaissent infranchissables. De sorte qu’à l’avenir, peut être que ces conditions pousseront certains d’entre eux à investir leurs économies dans un actif immobilier du « métavers ».

Si les êtres humains accordent davantage d’importance à leurs identités numériques, ce qui ne semble pas être une hypothèse totalement farfelue, alors nous pouvons imaginer qu’ils préfèreront de manière irrationnelle vivre dans des logements aux espaces réduits et au confort standard.

Le coût du logement, le développement dans certaines métropoles d’appartements aux dimensions limitées, la généralisation du télétravail, ainsi que la réduction de la taille des ménages, sont des phénomènes qui pourraient valider cette hypothèse. Autrement dit, la préférence serait donnée à l’investissement immobilier dans le « métavers » pour son double virtuel que pour son utilisateur.

Dès lors, dans 30 ans, si le « métavers » devient ce qu’espère ses défenseurs, toute notre conception de l’habitat demande à être réinterrogée. En effet, si l’investissement dans la pierre n’apparaît plus comme un investissement patrimonial ou comme un actif plus ou moins liquide, les prix pourraient reculer, notre volonté de vivre dans  une maison individuelle ne sera peut-être plus l’horizon indépassable du ménage Français, la zéro artificialisation nette des sols ne sera plus une question centrale du débat,  raccordés à un réseau puissant et de qualité les logements vacants situés dans la diagonale du vide pourrait connaître de nouveau un certain attrait.

En revanche, nous pouvons penser que le développement de logement « capsule » comme il en existe déjà à Tokyo ou à Los Angeles (3m2 pour 800 dollars), serait une forme d’habitat plus répandue qu’aujourd’hui. La frugalité en faveur de l’espace, ainsi que la tendance minimaliste qui prône la liberté par une vie détachée de toutes les contingences matérielles jugées accessoires, fournissent des arguments supplémentaires pour qui souhaiterait investir sa vie et ses économies dans le « métavers ».

Dans le secteur de l’immobilier, si la démocratisation de ce type d’investissement n’est pas d’actualité, il ne faut pas méconnaitre, qu’à travers le monde, les jeux vidéo qui font appel aux mêmes ressorts accumulent des bénéfices importants (12,3 milliards entre 2018 et 2020 pour « Fortnite »). Et pour cause, ces résultats sont soutenus par les dépenses des joueurs afin de développer les performances de leurs personnages ou améliorer leurs aspects esthétiques. C’est la raison pour laquelle, l’argument qui consisterait à disqualifier ce type d’attitude pour le secteur de l’immobilier en invoquant l’irrationalité des comportements ne semble pas recevable.

Enfin, si le « métavers » se manifeste comme une opportunité formidable pour le secteur, il peut aussi être porteur de risques en proposant des investissements alternatifs au marché physique.

Aujourd’hui, pour la majorité des investisseurs, le logement est un actif qui entre déjà en concurrence avec d’autres classes d’actifs – actions, obligations -. Du point de vue des collectivités locales, en fonction des projets, la décision de développer une offre résidentielle est à arbitrer entre celui de construire des bureaux ou à destiner son foncier pour un tout autre usage. A cette concurrence, il faut ajouter les défis colossaux que l’immobilier résidentiel a devant lui, démographiques, environnementaux et de coût pour les ménages. Il faudra, sans doute, adjoindre celui de s’adapter et de s’intégrer au « métavers » voire de le réguler.

[1] « Comment la blockchain va révolutionner l’immobilier », rapport PWC, Janvier 2020

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