L’axe sino-russe ou la nécessité des dépendances choisies

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Hector de Rivoire

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Hector de Rivoire est responsable des affaires gouvernementales et des politiques publiques de Microsoft France. Il enseigne l’économie à l’école de Management et d'Innovation de l’Institut des Etudes Politiques de Paris et a été chef de service économique pour la direction générale du Trésor à Bercy. Il est titulaire de deux masters – en affaires européennes de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et d’économie politique de la London School of Economics and Political Sciences (LSE).

Arthur de Liedekerke

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Arthur de Liedekerke est chef de projet au sein du cabinet de conseil Rasmussen Global et chercheur associé à l'Institut de politique de sécurité de l'université de Kiel (ISPK), en Allemagne. Après avoir commencé sa carrière au sein des institutions de l'Union européenne sur les questions de sécurité et de défense, il a été conseiller "Etudes, synthèse et anticipation stratégique" au sein de l'état-major du Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER). Il est titulaire de deux masters - en relations internationales de l'Université de Maastricht et en géopolitique du King's College de Londres. 

Hector de Rivoire, Arthur de Liedekerke

L’axe sino-russe ou la nécessité des dépendances choisies

Hector de Rivoire et Arthur de Liedekerke

La crise géopolitique que nous vivons depuis l’agression de la Russie en Ukraine a pris une nouvelle ampleur avec les manœuvres russes en mer Baltique. Sur fond de tension croissante avec l’OTAN, cette situation doit nous conduire à dresser un inventaire des nombreuses dépendances d’ordre stratégique de l’Europe à l’égard de Moscou, et tirer les conséquences d’un bouleversement qui acte le retour durable de la logique des blocs dans les rapports internationaux. L’ensemble des Etats-membres de l’UE doivent aujourd’hui consentir à la mise en place des outils et partenariats  commerciaux qui conditionnent l’émergence d’une réelle autonomie stratégique européenne pour faire face à l’axe sino-russe.

Les débats sur l’état des dépendances de l’économie française ont rythmé la campagne présidentielle, se matérialisant par des propositions orientant la commande publique vers les entreprises européennes, ou par un renforcement de l’arsenal des contrôles d’investissements étrangers. A Bruxelles, les institutions ont listé 137 chaînes de dépendances de l’Europe pouvant menacer l’autonomie stratégique européenne – une liste mise à jour le 23 février 2022, veille funeste de l’invasion russe. Confrontés à ce “bouleversement tectonique”, la déclaration de Versailles, adoptée par les chefs d’État ou de gouvernement des 27 les 10 et 11 mars dernier, insiste encore sur la réduction de nos « dépendances stratégiques ». A l’heure d’une contagion du conflit, il est temps de réduire nos dépendances commerciales dans des domaines aussi cruciaux que les hydrocarbures, des matières premières critiques, du spatial et de l’agroalimentaire.

Tout en accompagnant ménages et entreprises frappés par les hausses inévitables du prix de l’énergie, il faut réduire la dépendance gazière de l’ensemble de l’Europe à Moscou pour renforcer la liberté de nos choix stratégiques et militaires. Depuis le début de la crise ukrainienne, la fragmentation des échelles de dépendances énergétiques de la Russie à travers l’Union européenne s’est traduite par des chocs d’ampleurs inégales. La part de la Russie dans les importations de gaz naturel en amont des sanctions est effectivement très variable, représentant 49% des importations de l’Allemagne et 44% de celles de la Pologne et de la Grèce. De l’autre côté du spectre, la France et les Pays-Bas sont peu dépendants des réseaux gaziers russes avec respectivement 24% et 11% de leur consommation dépendant des opérateurs russes. Ces différences illustrent la nécessité d’une action forte à l’échelle européenne pour trouver des alternatives durables aux canaux énergétiques soutenus par le Kremlin. Le développement d’alternatives au gaz comme l’hydrogène, et la conclusion d’accords commerciaux avec l’Algérie et les Etats-Unis à court terme doivent devenir des priorités pour les gouvernements européens.

Le bat blesse tout autant pour ce qui est de l’Europe spatiale. Dans ce domaine, régulièrement cité comme un exemple de coopération fructueuse entre la Russie et l’Europe, la réaction de Moscou aux sanctions occidentales ne s’est pas fait attendre, limitant directement la stratégie d’autonomie d’accès à l’espace des puissances européennes. Dès le 26 février, Roscosmos – l’agence spatiale russe – riposte par la suspension des activités de son lanceur Soyouz depuis le port spatial européen de Kourou, en Guyane française. Privée des fusées conditionnant la mise en orbite de plusieurs satellites, la France va devoir repousser d’un an le déploiement de son troisième satellite espion CSO, en attendant Ariane 6. Le sort des deux satellites du système GPS européen Galileo, eux-aussi prévus sur lanceur Soyouz, est tout aussi incertain. Quant à la station spatiale internationale (ISS), le seul projet qui unisse encore la Russie et le reste du monde dans ce domaine risque aussi de disparaître, Dmitri Rogozine, chef de l’agence spatiale russe Roscosmos, a annoncé officiellement que son pays ne prendra plus part aux missions de l’ISS.  De quoi restreindre un peu plus les options des astronautes européens qui dépendent donc exclusivement des vaisseaux américains pour rejoindre l’espace.

L’inflation sur les denrées alimentaires est un autre symptôme révélateur de notre dépendance et notamment celle des industries agroalimentaires européennes aux importations étrangères. En effet, l’invasion russe de l’Ukraine a conduit à une envolée inédite des cours des céréales et des oléagineux. Aux accusations de vol par Moscou de centaines de milliers de tonnes de grains dans les territoires ukrainiens occupés, s’ajoute le blocus russe dans les ports de la mer Noire qui freine l’exportation de blé. Les répercussions se font sentir à l’échelle planétaire : l’Union Africaine, par le biais de son président Macky Sall, et l’UE se sont d’ailleurs accordés début juin sur les “ramifications potentiellement sérieuses » de cette guerre en matière de sécurité alimentaire pour les deux continents. Sans réduire nos ambitions environnementales, la guerre doit nous conduire à redéployer nos circuits commerciaux vers des partenaires fiables, proches de nos intérêts stratégiques comme le Canada et la Jordanie. Nous devons également envisager l’exclusion de la Russie de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Par-delà les enjeux sectoriels afférents à ce conflit, celui-ci est avant tout le marqueur d’un alignement croissant entre Moscou et Pékin. Oscillant entre soutien de son partenaire stratégique Russe, appels ambigus aux pourparlers et dénonciation de la course à l’armement, la Chine a joué un numéro d’équilibriste – démontrant que le nouvel axe sino-russe est à l’épreuve des crises géostratégiques. Le 14 mai 2017, le lancement du Forum One Belt, One Road, grande messe de la diplomatie économique chinoise au cours duquel le Président de la Fédération de Russie est intervenu aurait dû sonner comme un signal d’alarme pour les puissances occidentales. Pékin a depuis renforcé l’utilisation des investissements en infrastructures pour circonvenir la parole politique des états et amorcer des coopérations diplomatiques et militaires en Europe et en Afrique. Premier récipiendaire des exportations ukrainiennes, la Chine n’a pas pour autant usée de son influence pour mettre un terme à la guerre d’agression russe. Minimisant régulièrement son rôle dans ce conflit, elle souhaite aujourd’hui préserver ses liens commerciaux avec son premier partenaire commercial, l’Europe.

La relation “sans précédent” entre la Russie et la Chine dont le Président Vladimir Poutine s’est félicité en février n’est qu’un des maillons qui doit conditionner une remise à plat de notre relation avec l’Empire du Milieu. Si on ajoute la crise actuelle aux menaces récurrentes vers Taiwan, aux litiges en cours d’examen à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sur le droit des brevets, aux liens supposés des opérateurs avec les agences de renseignement chinoises et surtout à la répression du peuple Ouïghour, il est nécessaire de réduire le champ des leviers économiques sino-russes sur l’Occident. Ce constat doit désormais se traduire par des mesures durables garantissant la souveraineté économique de ses membres. La guerre en Ukraine a en effet produit une convergence politique inédite en Europe et outre-Atlantique sur laquelle il convient de capitaliser. Les sanctions financières et énergétiques consenties par les membres du G7 et leurs partenaires depuis le début du conflit en sont la manifestation la plus concrète. A ce titre, la sixième salve de sanctions européennes contre la Russie, prévoyant un arrêt de 90 % des achats de pétrole russe d’ici à la fin de l’année est à saluer tout comme l’exclusion de l’économie russe de la plateforme interbancaire SWIFT, composante structurelle du système financier international facilitant le transfert des messages contenant des instructions de paiements. Si ces mesures ont démontré la solidarité de l’Occident dans cette crise, il faut pourtant aller plus loin.

L’Union européenne s’est toujours construite et renforcée dans les crises, quant à l’OTAN, l’invasion russe a revitalisé l’Alliance, en la ramenant à ses objectifs initiaux. Les prochains mois sont l’opportunité de créer un consensus large entre l’Europe, le Japon, le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis autour des dépendances économiques dans des domaines aussi critiques que les approvisionnements énergétiques, le développement des technologies vertes et la préservation du cyberespace. Loin d’être un synonyme d’autarcie, la souveraineté doit se manifester par le choix de nos dépendances.

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Hector de Rivoire

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