Délit d’écocide : le glaive de Madame Pompili

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Sylvain Pelletreau

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Avocat spécialisé en droit de l’environnement depuis plus de 15 ans, il conseille des industriels et des investisseurs pour les accompagner dans la gestion du risque industriel. Il intervient notamment en droit des installations classées, sites et sols pollués, déchets, émissions atmosphériques, eau. Après avoir exercé dans des cabinets renommés, Sylvain Pelletreau monte son cabinet en 2015, avant d’être coopté comme associé du cabinet Richelieu Avocats. Il est titulaire d’un DEA de droit de l’environnement (Paris I et Paris II, Panthéon-Sorbonne) et d’une maîtrise de carrières judiciaires (Paris II Assas).

Sylvain Pelletreau

« C’est le glaive de la justice qui va s’abattre enfin sur tous les bandits de l’environnement », déclarait Madame Pompili sur France Inter le 23 novembre dernier, en annonçant la création d’un délit d’écocide. Nous voilà rassurés, le Gouvernement protège l’environnement.

Enième exotisme sorti du chapeau de la Convention citoyenne pour le climat, le délit d’écocide a pour objectif affiché de donner à la Justice les moyens de faire payer tous ceux qui, volontairement ou non, auraient porté atteinte à l’environnement. Ce serait du pollueur-payeur puissance 10, toujours selon Madame Pompili.

La France était-elle donc vierge de textes répressifs sur les questions environnementales ? Loin s’en faut, puisque notre pays possède un arsenal répressif parmi les plus développés en la matière. Le Code de l’environnement (articles L.173-1 et suivants) prévoit ainsi les dispositions générales suivantes :

  • Un an de prison et 75.000 € d’amende pour la réalisation de travaux ou activités sans autorisation ;
  • Deux ans de prison et 100.000 € d’amende pour la violation d’une mesure administrative de suspension ou d’interdiction d’activité ;
  • Un an de prison et 15.000 € d’amende pour la réalisation de travaux ou activités sans déclaration préalable ;
  • Deux ans de prison et 100.000 € d’amende pour la poursuite d’une activité sans se conformer à une mise en demeure.

Pour ceux qui s’alarmeraient du caractère trop général de ces mesures, précisons immédiatement qu’elles sont complétées par des infractions spécifiques. Ainsi, en matière de déchets par exemple, le droit prévoit des sanctions pour abandon de déchets, non-respect de la hiérarchie des modes de traitements des déchets, dépôt sauvage de déchets issus du BTP ou encore refus de fournir à l’administration les informations relatives aux modes de gestion des déchets. Dans chacun de ces cas, le contrevenant s’expose à 2 ans de prison et 75 000 euros d’amende.

Ce n’était donc pas assez. Il faut dire que le peuple souverain – pardon, les 150 membres tirés au sort de la Convention citoyenne – réclame plus de têtes à couper, et que le Gouvernement semble juger indispensable de se donner les apparences de l’action. Rassurons-nous, cependant : comme l’a bien précisé la ministre de l’Écologie, l’idée n’est pas de punir. Heureusement… Jugez-en plutôt :

  • Création d’un délit de pollution, volontaire ou non (donc on se moque des intentions de l’auteur de commettre ou pas le délit) ;
  • Augmentation des peines allant désormais de 3 à 10 ans de prison (2 ans actuellement) ;
  • Amende de 375.000 à 4,5 millions d’euros (100.000 € maximum actuellement) ;
  • Création d’un délit de mise en danger de l’environnement : un an de prison et 100.000 € d’amende.

Le plafond des sanctions passe donc de 2 à 3 ans de prison et de 75 000 euros à une fourchette comprise entre 375.000 à 4,5 millions euros d’amende. Madame Pompili doit avoir raison, il ne s’agit pas de punir, mais véritablement de finir de décourager les Français de prendre de quelconques initiatives… On pourra peut-être se consoler que le Gouvernement n’ait au moins pas cédé à la pression de ceux qui voulaient catégoriser l’écocide comme crime (10 ans de réclusion minimum).

À titre de comparaison, un vol avec violence est puni de 5 ans de prison et de 75.000 € d’amende (art 311-4 du code pénal). Des coups et blessures entraînant une interruption de travail de plus de 8 jours sont sanctionnés de 3 ans de prison et 45.000 € d’amende ; de 10 ans de prison et 150.000 € d’amende, s’ils entraînement une mutilation ou informité permanente.

Le coupable du délit d’écocide sera donc plus sévèrement puni que l’agresseur du jeune Marin (tabassé et laissé pour mort à Lyon, en 2016, après avoir osé défendre un couple pris à partie dans la rue) qui avait été condamné à 7 ans et demi de prison…

Ce qui marche sur les pas de la Convention citoyenne, c’est une nouvelle Terreur – verte, cette fois-ci. L’environnement semblait déjà recueillir toutes les faveurs de la répression. En janvier dernier, Madame Belloubet, alors Garde des Sceaux, souhaitait déjà mettre en place le « plaider coupable environnemental » (baptisé à l’époque « convention judiciaire écologique ») et des juridictions pénales spécialisées en droit de l’environnement. Le but affiché était déjà d’accroître la répression environnementale, la ministre estimant que les condamnations étaient insuffisantes et les procédures trop longues… Le projet de délit d’écocide marque une nouvelle étape.

On peut certes saluer la spécialisation des juridictions sur cette matière complexe qu’est l’environnement. On peut en revanche s’inquiéter du signal donné par ce projet de délit d’écocide, qui pose une série de problèmes sérieux.

Un problème de méthode, en premier lieu : ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens de la justice pour qu’elle applique efficacement le droit existant, plutôt que de créer de nouveaux textes flous et dangereux (certains appellent même à sanctionner le délit d’écocide avant même qu’il ne soit réalisé…) ?

Un problème anthropologique : le terme d’écocide et la notion de mise en danger de l’environnement reviennent à personnifier la nature et à créer un délit envers une chose. C’est un renversement majeur des valeurs, des représentations et des priorités.

Un problème économique, enfin, particulièrement aigu en cette période de crise. Est-il judicieux de faire peser cette nouvelle menace de sanction sur une France qui a besoin de sortir de la crise sanitaire et qui doit affronter une crise économique sans précédent ? Ne devrions-nous pas à l’inverse mettre en place une politique d’accompagnement des entreprises françaises pour leur permettre une croissance respectueuse de l’environnement ? Nous célébrions en 2018 et 2019 l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers : quel signal leur donne-t-on en affichant un délit aussi sévèrement puni ?

Le « glaive de la justice » brandi par Madame Pompili ne va-t-il pas tout simplement se transformer en épouvantail pour les entreprises présentes sur notre territoire qui se débattent pour survivre dans une concurrence mondiale exacerbée ? Ce glaive d’airain ne va-t-il pas piquer au vif les porteurs d’initiatives en France et les convaincre que l’herbe est définitivement plus verte en dehors de l’Hexagone ?

Ce glaive risque de ne pas s’abattre que sur les « bandits de l’environnement » mais aussi sur tous ceux qui portent l’activité économique de la France. Je lisais il y a quelques années un livre à mes enfants avec un petit roi qui brandit son épée en disant : « Tremblez, tremblez tous car mon épée me chatouille ! » À la fin, le petit roi finit par se noyer…

S’il ne s’agit pas de punir Madame la Ministre, de quoi s’agit-il ?

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Sylvain Pelletreau

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Avocat spécialisé en droit de l’environnement depuis plus de 15 ans, il conseille des industriels et des investisseurs pour les accompagner dans la gestion du risque industriel. Il intervient notamment en droit des installations classées, sites et sols pollués, déchets, émissions atmosphériques, eau. Après avoir exercé dans des cabinets renommés, Sylvain Pelletreau monte son cabinet en 2015, avant d’être coopté comme associé du cabinet Richelieu Avocats. Il est titulaire d’un DEA de droit de l’environnement (Paris I et Paris II, Panthéon-Sorbonne) et d’une maîtrise de carrières judiciaires (Paris II Assas).

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Avocat spécialisé en droit de l’environnement depuis plus de 15 ans, il conseille des industriels et des investisseurs pour les accompagner dans la gestion du risque industriel. Il intervient notamment en droit des installations classées, sites et sols pollués, déchets, émissions atmosphériques, eau. Après avoir exercé dans des cabinets renommés, Sylvain Pelletreau monte son cabinet en 2015, avant d’être coopté comme associé du cabinet Richelieu Avocats. Il est titulaire d’un DEA de droit de l’environnement (Paris I et Paris II, Panthéon-Sorbonne) et d’une maîtrise de carrières judiciaires (Paris II Assas).