« Comprendre l’impact environnemental de nos déchets : un préalable essentiel pour accélérer la transition écologique » interview de Kako NAÏT ALI

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Institut Sapiens

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L’Institut Sapiens est un organisme à but non lucratif dont l’objectif est de peser sur le débat économique et social. Il se veut le premier représentant d’une think tech modernisant radicalement l’approche des think tanks traditionnels. Il souhaite innover par ses méthodes, son ancrage territorial et la diversité des intervenants qu’il mobilise, afin de mieux penser les enjeux vertigineux du siècle.

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Comment analyser notre rapport ambigu aux déchets ?

La manière dont nous considérons nos déchets a considérablement évolué. Dite « autogérée » pendant la préhistoire où les nomades laissaient leurs déchets se dégrader dans la nature, leur gestion a dû évoluer avec le temps et la sédentarisation dans des zones de forte concentration de population.

Les déchets et ordures de toute nature deviennent au Moyen Age synonyme d’insalubrité et de prolifération de maladies. L’utilisation de zones de dépôts d’ordure à l’extérieur des villes apparaissent, tout comme les glaneurs d’ordures et les chiffonniers.

La nécessité d’impliquer la population dans cette question de santé publique et d’hygiène a conduit au fil des siècles à un rejet de tout ce qui avait attrait aux déchets. Les découvertes de Louis Pasteur en matière d’hygiène vont également jouer un rôle important dans cette transformation, impliquant d’autant plus les populations sur ces questions.

Les débuts de l’industrialisation de certaines activités accentuent cette nécessité de prendre en charge les déchets ménagers et industriels. Les premiers centres de traitement des déchets apparaissent en 1896, où ils sont transformés en engrais ou énergie électrique. La généralisation de la collecte et du traitement des déchets date des années 1970, avec le début des préoccupations environnementales.

Avec l’industrialisation et la diversification des produits de consommation, notamment du jetable, sont apparus des déchets complexes et difficiles à gérer. Ils ont été créés sans considération de leur impact ou de leur devenir, ce qui peut paraitre inconcevable de nos jours. L’éco-conception n’est apparue que dans les années 1970, mais n’est reconnue et appliquée largement comme tel que depuis les années 2000.

La vision que nous avons des déchets aujourd’hui est donc très négative, nous pouvons aisément comprendre pourquoi en considérant leur histoire. Ils sont ainsi assimilés à des matériaux sans valeur, avec des impacts sur la santé humaine et l’environnement. Ce qui est en partie vraie : l’histoire démontre que lorsqu’ils ne sont pas ou mal gérés, ils peuvent être une source conséquente de problèmes sanitaires et de pollution.

 

Mais contrairement à certains messages relayés ces dernier mois, la gestion des déchets par leur collecte, leur tri et leur valorisation matière (recyclage) et énergétique (incinération) est indispensable car elle donne une valeur à ce que nous jetons. Quelle est la place des déchets dans les débats sur la transition écologique ? 

La gestion des déchets est une charge qui incombe à notre société. Nous créons une matière que l’on suppose inutile et dont il faut se débarrasser. C’est en tout cas la vision que nous avions jusque-là de ces déchets qui sont des matériaux généralement toujours re-utilisables. Le concept d’économie circulaire permet d’expliquer au grand public qu’il est impératif de préserver nos ressources en limitant le gaspillage et en gérant de manière responsable les ressources utilisées. Dans cette circularité de l’économie, le déchet devient une ressource. C’est une nouvelle manière de le considérer. L’économie circulaire n’est pas juste un concept, c’est une réalité industrielle et technique qui fait ses preuves et dans laquelle la gestion des déchets prend une place prépondérante.

 

Donner de la valeur aux produits, aux matériaux en évitant d’en utiliser lorsque ce n’est pas nécessaire, en les réutilisant lorsque cela est possible et en les valorisant s’ils deviennent des déchets. C’est en cela que la gestion des déchets est un enjeu écologique majeur.

Au-delà de l’impact sur le changement climatique incontestable, c’est surtout l’impact sur la biodiversité qui doit être considéré. Lorsqu’un déchet se retrouve dans la nature, qu’il soit en plastique, en métal, en verre ou dit « biodégradable », c’est un objet créé par l’homme pouvant avoir un impact de quelques années à plusieurs milliers d’années sur l’environnement. Seule la gestion des déchets et leur valorisation permet d’éviter ces impacts environnements. La transition écologique ne se fera pas sans un changement de vision sur ce que nous utilisons, consommons et jetons. Il est impératif de changer de paradigme sur ce sujet.

 

Quel est leur véritable impact environnemental ? Comment comprendre cet impact ?

Il y a aujourd’hui un biais important entre la réalité et ce que l’on considère comme étant l’impact environnemental d’un déchet ou d’un emballage lorsque l’on parle de jetable.

L’impact environnemental d’un matériau ou d’un objet, qu’il soit dit « jetable » ou non, dépend de l’ensemble de son cycle de vie. Un matériau peut avoir un impact environnemental initial faible, mais être utilisé de sorte que son impact augmente considérablement au cours de sa vie. C’est le cas par exemple de certaines matières dites « naturelles » comme le coton ou la toile de jute. A contrario, le verre a un impact environnemental très important à la production. Il doit être utilisé de nombreuses années pour compenser cet impact. Le verre jetable est donc bien plus impactant d’un point de vue écologique qu’un plastique jetable par exemple.

Contrairement à ce qui est relayé sur ce sujet, notamment ces derniers mois, la mise en place d’une gestion des déchets performante limite les impacts de notre activité et n’empêche pas la réutilisation des contenants ou des objets. Une fois la création de ces déchets, il faut pouvoir les traiter et éviter de les retrouver dans la nature. Il y a également la notion de réduction de l’extraction des ressources naturelles. La valorisation des déchets y contribue et donne de la valeur à nos déchets. Ils ne doivent plus être considérés comme des immondices mais comme une source de matières premières.

Il est courant d’entendre que le recyclage des plastiques permet de vendre du pétrole. C’est regarder la réalité à travers un trou de serrure : le recyclage évite l’utilisation de matières vierges, extraites du pétrole, puisque la matière recyclée est réutilisée pour fabriquer de nouveaux produits. Elle réduit également l’impact environnemental d’un produit de 40 à 60% en fonction des matériaux. La réalité est très éloignée du débat actuel sur le sujet qui n’en est pas vraiment un puisque ce constat est chiffré. L’ADEME indique par ailleurs que le recyclage permet d’éviter chaque année en France l’équivalent de 20 millions de tonnes d’eqCO2.

 

Que signifie « valoriser » un déchet ?

La valorisation des déchets permet d’obtenir de nouveaux matériaux ou de l’énergie. Ce sont des procédés utilisés pour traiter les déchets afin qu’ils ne terminent pas dans une décharge. C’est leur donner une finalité utile ou une seconde vie.

La valorisation énergétique est un processus permettant de valoriser les déchets sous la forme de chaleur, énergie ou carburant. Contrairement à l’image qu’elle renvoie, la valorisation énergétique reste un atout, associée à d’autres types de valorisation (matière, chimique) elle permet d’éviter la mise en décharge et l’utilisation d’énergie fossile. Aujourd’hui, environ 32% des déchets ménagers sont valorisés par incinération avec production d’énergie.

Le recyclage consiste en toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités en substances, matières ou produits. Dans le cas des plastiques, on distingue le recyclage matière qui consiste transformer la matière plastique sans modifier sa structure chimique (par exemple en le faisant fondre pour créer un nouveau produit) et le recyclage chimique qui converti la matière en molécules qui seront utilisées pour créer une nouvelle matière puis un nouveau produit.
Le recyclage permet de substituer des substances, des matières, ou des produits à d’autres substances, matières ou produits. Le compostage est une des opérations de recyclage par exemple.

Le recyclage peut être en boucle fermée, c’est-à-dire que la matière recyclée est utilisée pour un usage identique sans modification fonctionnelle, ou bien en boucle ouverte où la matière est utilisée pour une autre application. Prenons un exemple : une bouteille en plastique jetée dans la poubelle jaune sera collectée, triée, broyées, fondues pour fabriquer des granules. Si ces granules sont utilisés pour créer une nouvelle bouteille, on parlera de recyclage en boucle fermée. S’ils sont utilisés pour fabriquer des fibres textiles, on parlera de recyclage en boucle ouverte.

Dans les deux cas, la matière recyclée est utilisée en substitution d’une matière vierge. Pour recycler un déchet, il faut qu’il passe par un circuit de traitement bien spécifique afin d’être identifié et trié, c’est pour cela que le tri réalisé par chacun est d’une grande importance.

 

Quelle est la différence entre dowcycling, upcycling et recyclage ?

Les termes de downcycling (décyclage) et upcycling (surcyclage) ne sont pas des termes règlementaires comme le recyclage, qui lui est défini dans le Code de l’Environnement. Ce sont des tendances reprises dans un ouvrage Cradle to cradle de William McDonough et Michael Braungart.

L’upcycling est l’utilisation de matériaux en fin de vie pour créer de nouveaux produits ayant une valeur ajoutée, une finalité, que ce soit en termes de qualité ou de fonctionnalité. C’est aussi faire du « beau » et de l’utile avec du « vieux ».

L’objectif de l’upcycling est de ne pas modifier la matière comme dans le cas du recyclage. C’est un concept qui prône la réutilisation de la matière et le recyclage du produit. Ce n’est pas un recyclage matière comme défini précédemment. Il est possible de l’assimiler au DIY : utiliser par exemple une baignoire pour en faire un canapé, ou transformer une chaussure en pot de fleur.

Généralement il est donné à l’objet une valeur sans considération de la matière qui le constitue. C’est une vision qui n’a pas vraiment de sens d’un point de vue technique. L’esthétique est certes un paramètre qui peut être considéré, mais la durabilité d’un produit dépend de la matière qui le constitue est des conditions d’exposition, qui sont ici totalement ignorées au profit d’une perception de l’utile et du durable.

Le downcycling correspond à la définition du recyclage en boucle ouverte. Ce terme a été créé pour dénigrer ce type de recyclage, considéré comme une dégradation de la matière. Il est ainsi considéré que recycler un acier issu de l’automobile pour fabriquer des aciers de construction est une dégradation de la matière, valorisation moins noble, puisque la finalité de la matière est différente. Là encore, d’un point de vue matériau ça n’a pas de sens. Modifier les caractéristiques d’une matière pendant un recyclage ne signifie la dégrader. Le terme de « grade » est associé à la qualité au sens de « niveau de performance » vis-à-vis d’exigences spécifiées. Il n’y a pas de hiérarchie dans les grades, sauf pour une même application. Mais ce sont ici des considérations techniques qui importent peu pour ceux qui prônent ces concepts.

L’upcycling et le downcycling sont donc des notions subjectives. La réalité technique et industrielle des procédés de recyclage sont complètement ignorées au profit de l’impression et du sentiment d’utilité et d’esthétique. Il ne faut pas oublier que recycler en boucle ouverte c’est changer la finalité d’un produit et parfois augmenter sa durabilité. Utiliser des bouteilles en plastique pour fabriquer des fibres textiles, c’est faire entrer la matière dans un cycle beaucoup plus durable. Il n’est pas nécessaire que cette matière ait une capacité de recyclage importante. De plus cela évite d’utiliser la matière vierge, et tous les impacts associés aux cycles répétés. Constat : ce textile aurait de toute manière été fabriqué.

Les bénéfices du recyclage sont chiffrés. Ceux de l’upcycling ne le sont pas. Difficile de considérer des activités DIY dans une société de consommation comme la nôtre. En tout cas pas dans le cadre d’une gestion des déchets responsable.

Expliquer cela n’élude pas les problèmes liés au recyclage matière, à ses débouchés ou à son organisation ou son impact. Ce n’est pas prôner l’utilisation de produits jetables. Bien au contraire. C’est avoir une vision réaliste de la situation et permettre une progression et une évolution ciblée du système de gestion des déchets actuel. Cela évite de prendre les mauvaises voies et mauvaises décisions. C’est être responsable.

 


A propos de Kako NAÏT ALI

Ingénieure matériaux de génie civil et titulaire d’un doctorat en chimie des matériaux dans le domaine de l’énergie. Son domaine d’expertise s’étend aux matériaux polymères issus du pétrole ou biosourcés, leur fabrication et vieillissement dans différents milieux, leur recyclage, fin de vie et toxicité. Elle a également longuement travaillé sur des sujets associés comme les textiles, les analyses de cycle de vie et la construction.

Son goût pour la technique l’a conduit à vulgariser ces sujets d’actualité complexes sur Twitter et sur son blog scientifique.

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L’Institut Sapiens est un organisme à but non lucratif dont l’objectif est de peser sur le débat économique et social. Il se veut le premier représentant d’une think tech modernisant radicalement l’approche des think tanks traditionnels. Il souhaite innover par ses méthodes, son ancrage territorial et la diversité des intervenants qu’il mobilise, afin de mieux penser les enjeux vertigineux du siècle.

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