Taxe Gafa : attention à la gueule de bois !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

La France a décidé de faire cavalier seul en instituant  une taxe Gafa de 3 % sur le chiffre d’affaires afférent à certaines activités du numérique (intermédiation, ciblage publicitaire et vente de données) réalisées par les entreprises dégageant un chiffre d’affaires apprécié au niveau mondial supérieur à 750 millions d’euros et fournissant plus de 25 millions d’euros de services taxables en France.

L’exposé des motifs du projet de loi relatif à cette taxe indique que celle-ci est destinée à contourner les règles de territorialité contenues dans les conventions fiscales, afin de permettre à la France d’imposer les bénéfices générés par l’économie du numérique non rattachables à un établissement stable situé sur son territoire. Le procédé est habile en termes de psychologie fiscale. La taxe Gafa joue le rôle de contre-feu lorsque, pour le gouvernement, c’est tous les jours tempête en matière fiscale.

La leçon de Frédéric Bastiat

Au XIXe siècle, le penseur libéral Frédéric Bastiat (1801-1850) expliquait avec un talent formidable et une rare justesse qu’en économie, il y a ce qui se voit, et ce qui ne se voit pas. Et il ajoutait :« Il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. » Tel est particulièrement le cas de la taxe sur les géants du Net américains. Au-delà de considérations d’ordre technique – notamment la question de sa compatibilité avec le droit fiscal européen et international – cette taxe laisse entrevoir deux difficultés.

D’une part, les taxes qui pèsent sur les entreprises sont au final toujours supportées par le consommateur. Leur incidence économique est indépendante de leur redevable fiscal. Les entreprises qui les subissent les répercutent, surtout lorsqu’elles exercent un pouvoir de marché important sur leur clientèle. Selon les prévisions de Bercy, 29 géants du numérique sont concernés par la taxe Gafa, dont un seul en France. Cette taxe risque donc de pénaliser les consommateurs français, mais aussi de nuire à la compétitivité de la seule entreprise française qui devra s’en acquitter.

D’autre part, les taxes sont devenues des outils de pression diplomatique. La taxe Gafa serait justifiée par le fait que les géants du numérique ne paieraient pas d’impôt ou trop peu. Le propos mérite d’être nuancé. Il est vrai que les Google, Apple, Facebook, Amazon et même Microsoft sont peu imposés en Europe, mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont autant taxés que les autres entreprises au niveau mondial. À cet égard, le gouvernement d’Edouard Philippe semble oublier que les Gafam sont le fer de lance de l’économie des Etats-Unis et de leur système de renseignement. La taxe Gafa se fera au détriment des Gafam et indirectement des Etats-Unis. Ceux-ci la ressentent comme une agression.

Droit dans ses bottes

La France reste droite dans ses bottes face aux messages adressés par les autorités américaines, notamment au début de l’année 2019 par Steven Mnuchin (secrétaire au Trésor) et Chip Harter (responsable du Trésor américain pour les questions de fiscalité internationale), ce dernier ayant déclaré que « les Etats-Unis s’opposent à toute proposition de taxe sur les services numériques, qu’elle soit française ou britannique ».

Robert Ligthizer, représentant américain au commerce, en juin 2019 et Donald Trump en juillet 2019 ont menacé plus directement les entreprises hexagonales. Le secteur vinicole n’est pas le seul à être visé. Il s’agirait pour les Etats-Unis d’imposer les entreprises françaises à concurrence du chiffre d’affaires qu’elles réalisent sur leur territoire. Cela pénaliserait nos champions nationaux : AXA ne réalise que 25 % de son chiffre d’affaires en France, Hermès 14 %, LVMH (groupe propriétaire des « Echos ») 10 %, Pernod Ricard 9 %… Il y a donc ce qui se voit – les 400 millions d’euros que la taxe Gafa est censée rapporter à la France – et ce qui ne se voit pas encore, la gueule de bois qu’un mauvais cru fiscal pourrait causer.


Publié dans les Echos

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