Retrouver le sens du travail

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.

Olivier Babeau

Le débat sur le financement des retraites part d’un postulat considéré comme une évidence : nous chercherions tous à minimiser notre temps d’activité. La résistance opposée à l’allongement de la durée des carrières pose un problème plus profond que celui de la simple équation budgétaire. Elle témoigne de la crise du travail.

Lors de la création du système actuel par répartition en 1945, l’âge minimal pour bénéficier d’une retraite pleine était de 65 ans. C’était à l’époque à peu près l’âge moyen de décès des ouvriers. Depuis cette époque,  la population a gagné treize ans d’existence . La retraite était conçue comme un filet de sécurité pour ceux qui avaient la chance de vivre longtemps ; elle est devenue l’espoir d’un nouveau départ, presque la vraie vie à laquelle on rêve de s’éveiller le plus tôt possible.

La vie active : une épreuve

De la même façon que l’entreprise est plus souvent présentée en France comme un lieu de souffrance et d’exploitation, la vie active est décrite comme une épreuve. Le mot travail ne vient-il pas d’ailleurs de « tripalium », un engin de torture ? On se souvient de la fameuse publicité pour le Loto où l’heureux gagnant s’empresse d’aller narguer son employeur (« Au revoir président ») et de démissionner. C’est oublier une autre réalité : certains emplois peuvent être vécus comme d’authentiques réalisations de soi. C’est le cas des artistes ou des professions intellectuelles par exemple. Pour eux, l’idée de retraite n’a pas vraiment de sens car leur métier est plus un mode d’existence qu’un travail à proprement parler.

Bien sûr, il existe de très nombreux métiers objectivement pénibles, et beaucoup n’apportent que peu de satisfactions en eux-mêmes. Un sondage de Kantar TNS pour Randstad montrait que 18 % des actifs français disent occuper un emploi dont ils ne perçoivent ni le sens ni l’utilité. La rareté des tâches où l’on se réalise ne devrait pas empêcher d’en faire des objectifs idéaux. Une attitude face au travail que nous ne transmettons pas assez à l’école. Alors que toutes les années d’études sont centrées sur le plaisir de cultiver son esprit, on présente trop souvent le passage à l’activité professionnelle comme un inéluctable renoncement à ce plaisir.

Divertissement stérile

Partir de cette idée, c’est condamner les gens à compter leurs trimestres en attendant la quille. Une logique d’autant plus triste qu’à la vacuité du travail répond logiquement celle du temps libre. Dans « Se distraire à en mourir », Neil Postman stigmatisait la société du divertissement et son principal outil : la télévision. Les adultes sont désormais sommés d’occuper leurs loisirs, comme des enfants, à « s’amuser ». Dans « Coming apart », Charles Murray montre que la chute du temps d’activité d’une partie de la population américaine depuis les années 1960 s’est accompagnée d’un bond du temps hebdomadaire passé devant la télévision. Un constat que l’on pourrait répliquer en France en se demandant ce que nous avons réellement fait des 4 heures hebdomadaires en plus données par les 35 heures…

L’Homo festivus, moqué par Philippe Muray, est le visage que prend cette société où l’infantilisation des loisirs est le pendant logique d’un travail de plus en plus subit. Le divertissement stérile dont parlait Pascal où l’on se fuit soi-même n’est au fond que l’écho de ces emplois où l’on n’est jamais soi-même. Bien loin de s’opposer, les réhabilitations de l’un et de l’autre doivent aller de pair. Les Grecs n’opposaient pas réellement travail et loisir, mais plutôt l’activité aliénante et le « skholè », le loisir studieux. A mes étudiants qui sont sur le point d’achever leur cursus universitaire pour rentrer dans la vie active, je me permets de donner ce conseil : « Vous aurez réussi votre vie professionnelle si votre métier vous fait redouter la retraite. » S’il est opportun de refonder notre système de retraite, il l’est plus encore de retrouver le sens du travail.


Publié dans les Echos

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