Pourquoi la tarification incitative en zone urbaine dense est une fausse bonne idée

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Pierre Hirtzberger

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ingénieur diplômé en énergétique & environnement de l’Institut National des Sciences Appliquée de Lyon (INSA Lyon) et du Master en Ingénierie et Gestion de l’Environnement de Mines Paris Tech - Ponts Paris Tech. Actuellement directeur général des services techniques du Syctom – l’agence métropolitaine des déchets ménagers 20 ans d’expérience pour le compte de collectivités (agglomération de Boulogne-sur-Mer, Métropole Européenne de Lille et Syctom – l’agence métropolitaine des déchets ménagers) dans la conduite d’opération de construction et le suivi d’exploitation d’équipements de traitement des déchets ménagers : unités de valorisation énergétique, unité de méthanisation, centres de tri de collecte sélectives. Expériences dans la conduite de projets de coopération financés par l’Union Européenne, missions d’expertise sur des schémas de gestion des déchets (Manille – Philippines, Nur Sultan City – Kazakhstan, Métropoles d’Afrique du Sud) Vice-Président en charge du climat et des ressources de l’Association Scientifique et Technique Eau et Environnement (ASTEE)

Pierre Hirtzberger

La manière de financer les services publics génère des débats anciens et toujours d’actualité. Une question fondamentale revient systématiquement : faut-il un système contributif général où tous les citoyens paient pour des services qu’ils utilisent à des degrés variables d’une personne à l’autre, ou bien faut-il une tarification individualisée où chaque usager paie pour les services qu’il consomme ?

En matière de gestion des déchets le débat se renforce car le législateur, européen ou national, souhaite que l’usager utilise le service public d’une manière raisonnée et raisonnable : moins de déchets présentés à la collecte d’une manière générale et surtout davantage de déchets recyclables pré-triés par l’usager que de déchets résiduels.

Historiquement ce service est majoritairement financé par une taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) dont le produit à l’échelle d’une collectivité doit correspondre aux charges. Les situations de sur-équilibre sont régulièrement dénoncées par les tribunaux. Cette taxe, assise sur le foncier bâti n’a aucun lien avec la quantité et la qualité des déchets présentés à la collecte. Elle n’incite donc pas à la réduction des déchets ni au tri. Néanmoins, quand on se penche finement sur qui paie quoi, on se rend compte que cette taxe présente un caractère social indéniable : les ménages les plus aisés vivant dans des logements dont la valeur fiscale est élevée paient davantage de TEOM que les ménages plus modestes.

Les lois récentes (transition énergétique d’une part et pour l’économie circulaire d’autre part) promeuvent largement des nouveaux systèmes de tarification dits incitatifs (TI) dans lesquels une part au moins de la facture payée par l’usager est reliée à la quantité et la qualité des déchets présentés à la collecte. Ainsi, on peut faire payer l’usager au poids de ses déchets ou bien encore au nombre de présentations du bac à la collecte.

Les territoires qui ont mis en place ce nouveau système constatent effectivement un réel effet tant sur les quantités globales de déchets jetés que sur l’augmentation du geste de tri puisqu’en général le tarif des déchets résiduels est pénalisant par rapport à celui des recyclables.

Quand on analyse finement quels sont les territoires qui ont fait ce choix, on se rend compte qu’ils sont essentiellement ruraux et/ou péri-urbains. Aucune grande agglomération, exceptée Besançon, n’a sauté le pas pour ce nouveau système.

Selon l’ADEME, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 8,1 millions d’habitants seraient concernés actuellement, inclus les territoires en cours de déploiement. L’objectif de la loi était de 15 millions en 2020 et 25 millions en 2025. 20 millions d’habitants seraient concernés par une étude sur sa mise en place. On est donc loin du compte.

Le coût aidé d’une telle mise en place est de 15 €/habitant et nécessite jusqu’à 3 Equivalents Temps Plein par tranche de 10.000 habitants pour sa mise en place : un investissement par conséquent significatif.

Dans une tribune parue récemment dans les Echos, le Directeur général de Citeo, éco-organisme en charge du recyclage des emballages, plaide pour la généralisation de la tarification incitative en citant trois mesures qui seraient de nature à aider les collectivités à s’engager dans la mise en place d’une telle tarification :

  • L’extension à 10 ans de la réduction du coût de gestion prélevé par l’Etat : il est de 8 % du produit de la TEOM pour la taxe classique et de 3 % pendant 5 années pour la tarification incitative
  • Laisser davantage de temps aux nouvelles intercommunalités pour harmoniser leur tarification déchets à l’échelle de leur territoire,
  • Permettre sur le même territoire la coexistence de deux systèmes : incitatif et classique.

Il est peu probable que les deux premières mesures soient totalement efficaces car elles n’apportent pas de réponse aux réels freins auxquels font face les collectivités locales en matière de fiscalité des déchets. Seule la troisième proposition permettrait effectivement aux grandes métropoles de passer leurs secteurs péri-urbains majoritairement constitués d’habitat individuel, au système incitatif, le cœur de ville restant à la taxe classique.

Voici, néanmoins, ce qui empêche ou freine fortement les collectivités urbaines à sauter le pas :

Le système de tarification incitative comprend en fait deux dispositifs : une TEOM comportant une part incitative de maximum 45 %, dite TEOMi d’une part, ou une Redevance totalement incitative.

Dans le premier cas, l’Etat pourra continuer à gérer le dispositif pour la collectivité comme aujourd’hui : gestion du fichier des redevables, encaissement, gestion des impayés et des contentieux. Les informations concernant la part incitative devront nécessairement être produites par la collectivité, ce qui nécessite qu’elle s’organise pour cela. Le fichier des contribuables n’est pas celui des usagers du service public.

Dans le second cas, la collectivité doit tout gérer elle-même et notamment le fichier des redevables ainsi que les risques financiers qui sont liés aux impayés et aux contestations. Cette tâche est titanesque dans les zones urbaines tellement le turn-over des habitants est important. A l’échelle d’un mandat municipal de 6 ans, il est communément admis que plus de la moitié des habitants d’un centre-ville ont déménagé.

De plus, il faut savoir qu’environ 30 % , voire plus dans certaines villes, du produit de la TEOM perçue est payé par des producteurs de déchets non ménagers qui ne bénéficient pas du service public de collecte et de traitement. Certaines collectivités exonèrent ces producteurs du paiement de la TEOM mais elles sont très minoritaires. En cas de passage à la Redevance, elles ne pourront plus appliquer la taxe auprès de ces contribuables. Par conséquent, au moment de démarrer le nouveau système, la collectivité doit répercuter ce manque à gagner sur les usagers du service. Ce qui signifie que la première année, c’est une hausse de la facture déchets de 20 à 30 % qui attend les usagers avant que la facture ne baisse si les quantités de déchets présentées à la collecte sont bien en baisse.

De plus, pour que le système soit incitatif, il faut que chaque foyer puisse constater les bénéfices financiers de ses efforts. Or en zone urbaine dense, il n’est pas possible d’individualiser au-delà d’un point de collecte qui peut être un immeuble ou une cage d’escalier d’immeuble, donc nécessairement un regroupement plus ou moins important de foyers parmi lesquels des bons trieurs et des moins bons élèves. De quoi re-collectiviser les résultats du geste de tri et donc générer des déçus et par conséquent des pertes d’adhésion au dispositif.

Enfin il ne faut pas négliger la part de coûts fixes dans le coût de la gestion des déchets d’une part et le coût notoirement plus élevé des filières de recyclage par rapport à celui des déchets résiduels d’autre part. Ces deux éléments sont de nature à rendre bien moins efficace la mise en place d’un système incitatif.

En effet, dans le coût global de la gestion des déchets, la collecte pèse environ 60 %. Un véhicule de collecte passe dans toutes les rues de la cité, que des bacs soient présentés à la collecte ou non. En zone urbaine il est difficile de faire des économies sur les fréquences de collecte car les immeubles n’ont pas des locaux à déchets suffisamment dimensionnés pour stocker assez de bacs permettant de réduire significativement les fréquences de collecte. La part de charges fixes sur la collecte est par conséquent importante. En matière de traitement, le coût des filières de traitement des emballages et des déchets alimentaires reste aujourd’hui élevé. La bascule de gisements de déchets résiduels vers les filières de déchets triés n’est donc pas de nature à dégager des économies.

Sans oublier que si la collectivité choisit le système de TEOM incitative et non de redevance pour ne pas perdre les recettes issues des contribuables qui n’utilisent pas le service public, la part incitative ne peut pas dépasser 45 %. De quoi rendre le système bien moins attrayant compte-tenu des contraintes pour sa mise en place.

Pour terminer, il reste la question de l’augmentation des dépôts sauvages qui est constatée dans une très grande majorité des collectivités qui ont mis en place une tarification incitative. En Ile-de-France où la quasi-totalité du territoire est soumis à la taxe classique, les collectivités font face à ce fléau qui augmente malgré le renforcement des dispositifs répressifs. Un dernier argument qui freine la mise en place en zone urbaine d’un système incitatif de financement du service public de gestion des déchets.

Pour conclure, les systèmes de tarification incitative des déchets ne sont pas par essence des mauvais systèmes. Ils sont parfaitement adaptés en zone rurale ou péri-urbaine, dans l’habitat individuel où ils montrent de vrais résultats tant sur les quantités globales de déchets collectés que sur l’augmentation du geste de tri, mais la TI reste inadaptée dans les zones urbaines denses car elle confronte les collectivités à une montagne de risques et de difficultés insurmontables donc inutiles.

Plutôt que de diffuser des recettes prétendument miracles qui ne résistent pas à la réalité des faits, assumons collectivement la territorialisation des solutions qui peut permettre d’optimiser les résultats du tri, garantir une forme d’équité et adapter les remèdes aux maladies…

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Pierre Hirtzberger

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