Pourquoi il est impossible d’abolir l’héritage

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.

Olivier Babeau

Nos démocraties sont habitées, avait souligné Tocqueville, par la passion de l’égalité. Régulièrement, l’idée d’une taxation plus radicale de l’héritage refait surface, alors même que la France est déjà l’un des pays les plus fiscalisés en la matière. Passons sur le problème philosophique que pose l’idée d’une spoliation totale de biens accumulés par une vie de travail et qui ont déjà fait l’objet de nombreux prélèvements. On peut surtout douter du fait qu’annuler toute transmission du capital économique permettra vraiment cette égalité parfaite dont nous rêvons.

Une étude a montré que 84 % des élites chinoises de 2017 faisaient déjà partie de l’élite avant la révolution. Malgré la remise à zéro intégrale des patrimoines, les familles dominantes du pays étaient les mêmes qu’autrefois. La transmission du capital économique n’est qu’une partie, et peut-être pas la plus importante, de l’héritage. Le capital culturel et social est sans doute d’un poids déterminant dans les trajectoires de vie. Or en cette matière le système éducatif présente un bilan particulièrement dramatique: il échoue totalement à corriger les inégalités de dotations culturelles initiales. On n’empêchera jamais les parents, même spoliés, de transmettre à leurs enfants une plus grande richesse de regard sur le monde, donnant à ces derniers plus de chances de réussite.

Ajoutons que s’il faut admettre l’existence d’un facteur génétique dans la détermination des performances cognitives, une partie importante des différences de destin paraît particulièrement difficile à combattre. Dans une courte nouvelle écrite en 1970, Vonnegut mettait en scène un monde où les esprits les plus vifs doivent porter un implant qui leur ôte leur avantage cognitif sur les intelligences médiocres. Une perspective évidemment moins acceptable que l’option contraire, techniquement plus difficile, qui consisterait à augmenter les performances cognitives des moins favorisés.

La beauté est une autre pierre dans le jardin de ceux qui rêvent une égalité parfaite fondée sur l’interdiction de tout héritage. Le domaine de recherche des pulchronomics s’intéresse à la façon dont l’apparence physique influe sur nos destins. Les résultats sont stupéfiants. Comme le montre une étude anglaise, la laideur entraîne en moyenne un salaire moindre de 15 % pour les hommes et de 11 % pour les femmes. L’étudiante jolie mais peu travailleuse aura aussi en moyenne le bénéfice du doute, contrairement à celle qui est «esthétiquement challengée», dont les notes seront plus basses. Le physique d’un élève prédit entre 20 et 40 % de la variance de ses résultats scolaires, soit autant que les compétences scolaires proprement dites. L’avantage esthétique se déploie tout au long de la vie: les gens beaux sont en moyenne plus heureux et plus riches. Dans Facial Justice, roman d’anticipation publié en 1960, Hartley imagine une société où, par souci d’égalisation des conditions, chaque jeune fille est soumise à une opération de chirurgie esthétique afin de présenter une beauté moyenne.

En réalité, notre époque hait l’héritage parce qu’elle rêve d’individus indifférenciés, artificiellement abstraits de toute racine. C’est la condition de nos deux grands fantasmes contemporains contradictoires: d’une part l’autodétermination intégrale de l’individu, au-delà de toute contingence biologique notamment, d’autre part la possibilité pour l’État de façonner un homme nouveau selon les critères moraux qu’il décide.

Le libertarien Rothbard écrivait que l’égalitarisme était «une révolte contre la nature». L’idéologie égalitariste fait de toute inégalité une injustice et voudrait une société d’êtres identiques. Ce cauchemar, heureusement, reste hors de portée quels que soient nos excès fiscaux.


Publié dans le Figaro

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