Non l’explosion du coût de l’innovation médicale n’est pas une fatalité !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

Vincent Diebolt

24 000 d’euros pour le Solvadis (médicament curatif de l’hépatite C), 320 000 d’euros pour le Kymriah de Novartis, ou encore 1,9 millions d’euros du Zolgensma(thérapie génique du même Novartis pour traiter l’amyotrophie spinale) : l’escalade vertigineuse du prix des nouveaux médicaments et traitements mis actuellement sur le marché représente un défi économique, social et éthique.

Jusqu’à quand la solvabilité et le principe de solidarité dans la prise en charge des soins de santé vont-ils tenir le coup, quand en parallèle, selon une étude de « Tufts Center For the Study of Drug Development », le coût moyen de développement d’un médicament est de 2,6 milliards de dollars ? Un chiffre astronomique qui inclue non seulement le coût de mise au point du médicament lui-même mais qui agrège aussi le capital perdu avec les essais en échec sur d’autres molécules.

Pour éviter de se confronter aux questions, insolubles, du prix acceptable de la vie, du seuil de jours de vie gagnés à partir duquel un produit de santé sera remboursé ou de l’âge limite auquel on aura droit à une prise en charge pour ne pas être contraint à des parties de bras de fer « perdant/perdant » avec les industriels en santé, au risque de limiter leurs capacités d’investissement, ou qu’un laboratoire renonce à commercialiser un médicament en France au motif d’un tarif négocié trop faible, l’une des solutions réside dans la diminution du coût de développement de l’innovation en santé. Puisque les moyens et la capacité de prise en charge collectifs sont contraints et limités, autant essayer de jouer sur les coûts de développement et de validation des innovations à financer.

Une sacrée gageure au regard de la convergence des facteurs d’explosion des coûts d’expérimentation qui visent à évaluer la tolérance et l’efficacité de nouvelles molécules, dispositifs médicaux ou thérapies :

  • Un contexte sociétal peu propice à la recherche clinique qui est perçue comme une activité « à risque » et où recruter des patients pour participer aux essais cliniques devient encore plus compliqué avec l’émergence de la médecine dite personnalisée et qui implique l’identification de populations-test ciblées répondant à des critères très sélectifs
  • Des exigences règlementaires de plus en plus protectrice et de méthodologies plus sophistiquées, exigeant un nombre toujours plus grand de données à collecter et analyser, les essais cliniques d’aujourd’hui ont des designs contraignants pour leurs promoteurs et pour les volontaires et patients qui y participent (visites ; examens ; ..)
  • Un niveau avancé de l’arsenal thérapeutique disponible, les nouveaux produits de santé à évaluer doivent prouver leur supériorité et leur bénéfice de manière statistiquement indiscutable, ce qui devient à chaque fois plus difficile et requiert un nombre croissant de sujets à inclure
  • Un nombre d’essais cliniques à réaliser, pour positionner les nouvelles molécules, en augmentation du fait du progrès de la connaissance et à la fécondité de la recherche, des facilités de criblage de molécules à tester et de la diversité des schémas thérapeutiques possibles. En cancérologie aujourd’hui, la chimiothérapie se combine non seulement à la chirurgie, à la radiothérapie, mais aussi à l’immunothérapie, et à des thérapies ciblées, comme les « antiangiogéniques » dans le cancer du poumon.

Du coup le bon vieil essai clinique randomisé en double aveugle contre placebo, modèle princeps de référence depuis des décennies en pharmacologie clinique, semble dépassé. De nouvelles approches sont à explorer permettant de continuer à démontrer un niveau de preuve suffisant pour les nouvelles thérapeutiques en s’aidant des outils modernes désormais disponibles à l’ère du big data, du développement des entrepôts de données biomédicales dans les établissements de santé et de la mise en place du health data hub.

Place donc à de nouveaux modèles d’essais cliniques plus adaptés à la science médicale d’aujourd’hui, plus économes en termes de patients à inclure et plus frugaux en termes de moyens à mobiliser. Une opportunité qu’offre justement la croissance exponentielle des données de santé, dont le nombre double tous les 3 mois … Par leur diversité ces bases de données, pour peu qu’elles soient assemblées de manière pertinente (un cliché d’imagerie est différent d’un recueil de température ou d’un résultat biologique), pourraient constituer des « portraits-robots » de patients virtuels et donc une 1ère ligne de tests et de tri, afin d’évacuer de manière précoce, sans inclusion, un certain nombre de molécules inopérantes ou suscitant trop d’effets indésirables. Le développement de ce nouveau modèle d’essai clinique dit « in silico » ou par « bras synthétique » dépend toutefois de protocoles d’exploitation des bases de données disponibles, par nature brutes et inertes, et d’algorithmes d’analyse complexes afin de les rendre interprétables et leur donner du sens, des compétences bio-informatiques et médicales de pointe que certaines start-ups françaises, telles que Novadiscovery, sont en capacité aujourd’hui de proposer.

Le développement d’un nouveau concept d’essais cliniques dits adaptatifs constitue une seconde opportunité. Fondé sur la disponibilité et le suivi en temps réel des données collectées en cours d’essai ce nouveau modèle permet d’en finir avec la pratique de protocoles figés d’essais cliniques qui n’autorisait aucune déviation de la 1ère à la dernière inclusion. Ces nouveaux essais dits adaptatifs autorisent donc des arrêts prématurés, des modifications de leur design en fonction des signaux collectés, avec, à la clé, des économies de temps et de moyens et des diminutions de taux d’échec.

Troisième source d’évolution, celle induite par l’immunothérapie, à rebours de la taxinomie médicale actuelle, fondée jusqu’ici sur un raisonnement et un classement anatomique, organe par organe, avec pour chacun d’entre eux un essai clinique spécifique. L’immunothérapie en oncologie (45% des essais cliniques menés en France par l’industrie pharmaceutique…) porte une vision globale de l’organisme, visant à renforcer le système immunitaire pris dans son ensemble, déconnecté de la distinction devenue inutile « organe-dépendant ».

Ce modèle transverse a initié une évolution du concept et des pratiques d’essais cliniques avec deux nouvelles déclinaisons, l’une dite d’essais « basket » qui comptent un point d’entrée unique, celui d’un défaut moléculaire ou génétique, celui-ci étant déconnecté de la localisation du cancer ce qui permet d’associer un panel plus large de patients soumis au même traitement. A l’inverse, les essais de type « umbrella » qui concernent une indication et plusieurs molécules permettent de tester simultanément diverses stratégies thérapeutiques. Plus fédérateur ce nouveau concept a conduit à la construction de plateformes de recherche intégrative (« platform trial ») dont le projet européen « EU-PEARL » est un exemple. Cofinancé en 2019 par l’Union européenne et les industries de santé, ce projet qui associe un réseau multinational d’établissements hospitaliers, soit autant de centres d’inclusion et d’investigation, vise à assurer la réalisation simultanée de plusieurs essais cliniques en sollicitant le même bras « contrôle ».

N’en déplaise aux collapsologues et autres Cassandre, l’envolée irrésistible du prix des futures innovations en santé n’est pas une fatalité. En accompagnant la mutation de l’expérimentation médicale et en corollaire l’adaptation et la professionnalisation des structures de promotion académiques et industrielles,  en incitant nos autorités de régulation à intégrer ces nouveaux standards et à accepter de les substituer au modèle de référence, plus coûteux, il devient possible de peser sur le coût de recherche et développement en santé. L’objectif étant, en bout de chaine de préserver le droit de tous à bénéficier des soins les plus performants.

Au-delà du prix « acceptable » par nos comptes sociaux de l’innovation prise à l’unité, la réflexion à mener porte également sur leur rythme d’apparition avec l’accélération actuelle du progrès scientifique ouvrant de nouvelles opportunités diagnostiques et thérapeutiques quasi infinies qu’il faut anticiper et se donner les moyens de sélectionner faute de pouvoir toutes les financer. Quel arbitrage à opérer en effet, et selon quels critères, entre les innovations de rupture et celles dites de confort, les innovations pour le plus grand nombre ou celles bénéficiant en priorité aux porteurs de maladies rares ? Un autre sujet de débat …

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Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.