L’Etat au service de lui-même

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Après la « révision générale des politiques publiques » de Nicolas Sarkozy et la « Modernisation de l’action publique » de François Hollande, c’est désormais au tour du président Macron de lancer sa grande tentative de refondation de l’Etat : « Cap 2022 ». Si elle veut être autre chose qu’une nouvelle machine à faire tourner le moulin à prière des bonnes résolutions, il serait bon de comprendre les raisons des échecs passés.

Jusqu’à présent, aucun effort de remise à plat des missions de l’Etat n’a permis de baisse significative des effectifs. Rien n’a pu non plus véritablement enrayer la croissance des dépenses. Les spécialistes des sciences organisationnelles comprennent sans peine le mécanisme à l’œuvre : l’autolégitimation, c’est-à-dire la tendance de toute organisation à justifier sa propre existence.

Spinoza nommait « conatus » cet effort des entités vivantes à « persévérer dans l’être ». C’est vrai des animaux, végétaux, humains comme des groupes sociaux institués. Les entreprises privées ne peuvent survivre à leur absence d’utilité : si elles ne créent plus de valeur, elles n’ont plus de clients et meurent.

En revanche, les institutions publiques en ont la capacité car leurs ressources (les impôts essentiellement) sont déterminées sans aucune référence à leur utilité réelle. Initialement créées pour fournir tel ou tel service à la population, la suppression de ce service n’entraîne pas automatiquement la disparition de l’administration correspondante, l’inertie des statuts aidant.

On cherchera plutôt à trouver une nouvelle utilité (réelle ou supposée) à la structure existante. De moyen au service d’un objectif, les administrations deviennent alors à elles-mêmes leur propre fin. N’est-ce pas précisément ce que l’argument désarmant de la « préservation de l’emploi public » suggère.

L’administration, pourtant, n’existe pas pour occuper des fonctionnaires, mais pour être utile aux citoyens. Elle perd souvent de vue cette vérité toute simple. A l’université par exemple, telle discipline qui n’a plus guère d’étudiants se battra pour conserver le même nombre de postes d’enseignants, justifiant ces recrutements dans le vide par les « impératifs de la recherche ».

De la même façon, la Cour des comptes a noté que la création de France Télévisions n’a pas permis de baisser les effectifs des fonctions supports qui devaient pourtant être mutualisées.

Niskanen avait remarqué que la tendance naturelle des administrations était de maximiser leur taille, traduisant la prévalence des objectifs particuliers de ceux qui y travaillent. Le personnel embauché trouvera toujours une façon de justifier son existence en s’inventant de nouvelles « missions ». Ces dernières consistent souvent en la gestion d’une complexité que l’organisme lui-même s’est employé à créer.

Quelle leçon en tirer ? Réviser les politiques publiques ne peut signifier demander aux administrations à quoi elles servent, mais plutôt examiner si cette utilité correspond à une mission que l’Etat souhaite assumer et si oui, de quelle façon (en l’externalisant par exemple dès que cela est possible). Il faut mettre en place de réels « états généraux de la puissance publique » qui ne soient pas dominés et stérilisés par des hauts fonctionnaires trop suspects eux-mêmes de succomber à la tentation de l’autojustification. La gestion de l’Etat est une chose bien trop sérieuse pour être confiée à la haute fonction publique

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