« Le coût intégral d’un mois de confinement pourrait atteindre 150 milliards d’euros »

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Laurent Cappelletti

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Laurent Cappelletti est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (Le Cnam), titulaire de la chaire de comptabilité et contrôle de gestion, membre de son laboratoire de recherche LIRSA et directeur de son master comptabilité-contrôle-audit. Il est également directeur de programmes à l’Institut de Socio-Économie des Entreprises et des Organisations (ISEOR, Lyon-Ecully), coordonnateur du réseau de recherche Tétranormalisation et coordonnateur du séminaire annuel de la Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises (FNEGE). Ses recherches portent sur le capital humain et les investissements immatériels dans les organisations, l’épistémologie en sciences de gestion et la gestion des normes et des standards.

Laurent Cappelletti

A l’heure ou les connaissances qui font consensus sur la lutte contre Covid19 sont encore peu nombreuses, celle de mettre en place un confinement des populations sur un territoire semble généralement acceptée. Dans ce contexte, la France a opté pour un mode de confinement que l’on peut qualifier de stricte entre confinement total et confinement moins contraignant de type anglais. En termes économiques, une fois prise la mesure de la portée de ce confinement, il est possible, en ordre de grandeur, d’en évaluer le coût pour l’économie française. L’INSEE vient de l’évaluer à 35% du PIB mensuel par mois de confinement, soit 3% de PIB annuel, c’est-à-dire 75 milliards d’euros par mois. Son évaluation est faite à partir des coûts visibles du confinement, en partant des données transmises par les différents secteurs économiques français, par exemple celles sur les arrêts de production dans les secteurs qui ne sont pas de première nécessité comme le bâtiment ou les commerces non alimentaires. Or, les travaux (*) sur les coûts cachés des dysfonctionnements qui perturbent les activité humaines, c’est-à-dire les coûts non enregistrés par les systèmes d’information classiques ou qui ne font pas l’objet d’un suivi spécifique, montrent qu’ils représentent de 50% jusqu’à 100% des coûts visibles dans le cas de situations de perturbation extrême ou inédites. Ces coûts cachés s’expriment notamment en termes de surtemps de travail, de sous productivités et de défauts de qualité des produits/services en raison de conditions de travail dégradées, ainsi qu’en sursalaires (salaires versés sans contrepartie productive) du chômage partielle ou technique. Le coût intégral d’un mois de confinement, coûts visibles plus coûts cachés, pourrait ainsi atteindre jusqu’à 6% du PIB soit 150 milliards d’euros par mois de confinement. En pourcentage, cette estimation rejoint celle de Clemens Fuest, président de l’institut économique allemand IFO, pour qui « les arrêts de production, le chômage partiel et l’augmentation du taux de chômage pourraient coûter jusqu’à 247 milliards d’euros (6 à 7% du PIB allemand) par mois à l’économie allemande ».

Chacun peut observer, à son niveau, ces dysfonctionnements coûteux additionnels. Par exemple, le télétravail à la maison qui pourrait concerner 25% des actifs selon l’Institut Sapiens, est grevé de temps non directement productifs liés aux fréquentes interruptions domestiques, à l’effet d’apprentissage pour les néophytes en ce domaine ou encore aux bugs des systèmes d’information surchargés. Pour les actifs travaillant dans les bureaux ou sur le terrain, comme ceux de la grande distribution, de l’agriculture, des transports et des services publics, ces dysfonctionnements engendrent, par exemple, des surtemps liés aux nouvelles organisations du travail, des maladies professionnelles en lien avec le virus Covid19 et des sous efficacités provoquées par des troubles psychosociologiques causés par l’angoisse de la situation. Les soignants, malgré leur immense professionnalisme, souffrent eux aussi de dysfonctionnements additionnels provoqués par des surcharges de travail et des manques de matériels et d’équipements.

Ce  coût intégral gigantesque du confinement pose la question de sa durée supportable pour une économie et par voie de conséquence pour la santé d’un pays. Est-ce deux mois, trois mois, quatre mois, plus… ? Sans attendre la réponse, et en l’absence de thérapeutique de masse du virus, l’objectif de généraliser les tests sur une population et les outils de protection sanitaire matériels (masques etc.) et immatériels (gestes barrières etc.), pour permettre aux actifs non infectés de reprendre le travail dans des conditions acceptables, et une fois que l’épidémie sera assurément en décru et les services de santé plus sous tension, apparait rationnel. Se pose également la question de l’ampleur du plan de relance économique à budgéter pour soutenir et relancer une économie après un tel choc. A ce titre, les allemands préparent un plan de relance pouvant atteindre 1200 milliards d’euros (34% de leur PIB annuel) et les américains ont prévu un premier plan de 2000 milliards de dollars (10% de leur PIB annuel). La France, idéalement coordonnée avec ses partenaires européens, devrait probablement tabler sur des ordres de grandeur comparables.

 (*)
1) L. Cappelletti, O. Voyant, H. Savall (2018), « 40 ans après son invention : la méthode des coûts cachés », Audit Comptabilité Contrôle et Recherches Appliquées (ACCRA),  2(2) : 71-91.
2) L. Cappelletti, O. Voyant, H. Savall, F. Noguera (2018), « 40 years of socio-economic approach of management (SEAM) : What we know, where we go ? », Academy of Management (AOM) Proceedings.

Publié dans le Monde

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Laurent Cappelletti est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (Le Cnam), titulaire de la chaire de comptabilité et contrôle de gestion, membre de son laboratoire de recherche LIRSA et directeur de son master comptabilité-contrôle-audit. Il est également directeur de programmes à l’Institut de Socio-Économie des Entreprises et des Organisations (ISEOR, Lyon-Ecully), coordonnateur du réseau de recherche Tétranormalisation et coordonnateur du séminaire annuel de la Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises (FNEGE). Ses recherches portent sur le capital humain et les investissements immatériels dans les organisations, l’épistémologie en sciences de gestion et la gestion des normes et des standards.

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