Le chant du Phénix : l’humain au coeur de la crise sanitaire

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Sylvain Pelletreau

author-avatar

Avocat spécialisé en droit de l’environnement depuis plus de 15 ans, il conseille des industriels et des investisseurs pour les accompagner dans la gestion du risque industriel. Il intervient notamment en droit des installations classées, sites et sols pollués, déchets, émissions atmosphériques, eau. Après avoir exercé dans des cabinets renommés, Sylvain Pelletreau monte son cabinet en 2015, avant d’être coopté comme associé du cabinet Richelieu Avocats. Il est titulaire d’un DEA de droit de l’environnement (Paris I et Paris II, Panthéon-Sorbonne) et d’une maîtrise de carrières judiciaires (Paris II Assas).

, Sylvain Pelletreau

Il est de ces animaux qui traversent les siècles sans craindre l’extinction. De l’Égypte ancienne à notre ère postmoderne, le Phénix symbolise le renouveau. Par sa présence, il convoque notre capacité à renaître des crises. Par son chant, il apaise les douleurs et renforce le courage et la force d’une société en guérison. Par son envergure, il interroge nos rapports jusqu’ici ambigus avec la création, qu’elle s’entende à la fois comme la Terre qui nous a été donnée et comme l’intelligence qui a façonné nos sociétés humaines. Comme l’écrivait Hannah Arendt, « une crise, c’est un face-à-face inédit entre soi et les choses essentielles qui sont d’habitude recouvertes sous les idées toutes faites et les préjugés[1]». Ces choses essentielles, ce sont ces deux kits de survie de l’espèce humaine : l’environnement et la technique. Au fil des siècles, l’intelligence humaine les a transformés mais elle les détourne aujourd’hui de leur première fonction : la sauvegarde de l’espèce humaine.

L’année 2020 célèbre le Rat, autrement dit la créativité et l’ingéniosité chez les asiatiques. Elle devra être également l’année du Phénix et célébrer la capacité de nos sociétés à se régénérer. Pour ce faire, nous devons rester vigilants sur la pertinence des mesures prises actuellement sur l’environnement et le numérique, afin que ces kits de survie ne deviennent des boites de Pandore.

 

L’Homme au cœur de l’environnement

La crise du Coronavirus est l’occasion de moult déclarations pour la relance économique au travers de la transition écologique : 150 Français tirés au sort rédigent une convention citoyenne pour le climat ; dix ministres européens de l’environnement s’engagent pour une relance verte[2]… Concrètement, on nous propose un inventaire à la Prévert, le bien-nommé : augmentation des investissements pour la mobilité durable, pour les énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments, la recherche et l’innovation, la restauration de la biodiversité et l’économie circulaire. Ces solutions sont probablement pertinentes car il faut renforcer la protection de notre maison commune, mais elles sont sans vision pour l’Homme. Où est-il dans ces différentes lois de protection de l’environnement ou de croissance verte ? Quel projet construit-on en son nom ?

Alors que nous multiplions les dispositifs règlementaires contre le réchauffement climatique, pour la restauration de la biodiversité ou pour la reconnaissance des animaux comme êtres sensibles, il faut regretter qu’ils ne s’inscrivent pas dans un projet d’avenir : l’Homme au cœur de l’environnement. En réalité, l’Homme est de plus en plus décrit comme la clé du problème et non comme le cœur du projet[3] ; à l’instar des travaux menés sur l’octroi de la personnalité juridique à des espaces naturels, afin de les protéger contre l’Homme. L’arbitraire environnemental voudrait-il qu’il soit condamné par avance à ne pas être au cœur du projet écologique de demain ? L’Homme est le phénix des hôtes de la nature, il doit renaître de ses erreurs. Il doit être responsabilisé. Il doit être reconnu pour ce qu’il est : un être doué d’intelligence, capable de sauver sa maison.

La protection de l’environnement est une priorité mais il est capital de définir un projet de société avant de définir un projet environnemental ; le second est l’accessoire – indispensable certes, mais accessoire – du premier. Au XVIe siècle, Jean Bodin nous disait qu’« il n’est de richesse que d’hommes ». Aujourd’hui, nous devons rebâtir un projet dans lequel il ne sera de richesse que l’Homme. Eduqué et informé, collectivement responsable et protecteur de ses intérêts et de ceux de son environnement, l’Homme devient une priorité au service de la Nature.

 

L’Homme au cœur du numérique

La crise sanitaire actuelle intervient également en pleine effervescence d’analyses anthropocentristes sur l’Intelligence Artificielle et son évolution. Si les réflexions portèrent initialement sur les performances et les potentialités de l’IA, il fallait se réjouir des orientations actuelles sur l’Homme et ses capacités à maîtriser et à contrôler cette technologie. Ainsi les débats sur l’IA se concentrent actuellement sur la protection de l’humain et les intérêts de l’Humanité. La résurgence de l’éthique est un signe fort que la dignité humaine, la liberté, le respect, la transparence et l’engagement à un « bien commun numérique » sont les conditions nécessaires au développement puis au déploiement de ces technologies.

Cet engagement humano-centré ne doit pas être sacrifié sur l’autel d’une politique et d’un capitalisme numériques, même en période de circonstances exceptionnelles. Comme Benjamin Franklin nous le rappelait, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ». L’application StopCovid de traçage numérique des français et des personnes touchées par le COVID ne doit pas être le cheval de Troyes de cette abdication, pour deux raisons.

La première est la menace intérieure qu’elle sous-tend. La méfiance envers notre gouvernement s’accroît au fur et à mesure que la technologie devient un expédient à l’indécision politique. Quand une innovation transforme l’art de la décision en exercice de (auto-)satisfaction, cela transforme un engagement politique en solutionnisme technologique : la situation complexe est réduite à un problème court terme. Cette efficacité relative est remise en question par les fissures qu’elle créera profondément dans notre tissu social. Les leçons tirées des usages chinois ou coréens sont à cet égard inopportunes en raison de cultures très différentes de la nôtre. La fragilité de la cohésion sociale française ne permet pas l’emploi, même volontaire, de cette technologie car elle porte le risque de la stigmatisation de ses non-utilisateurs comme des opposants au système – donc au bien commun qu’est la santé – et de ses utilisateurs comme des suspects infectés – alors voués à l’ostracisme. Si le ciblage assure temporairement un déconfinement sur-mesure, il garantit aussi des tensions post-crise.

La seconde menace est extérieure et concerne notre dépendance technologique aux BigTech étrangères. Si nous pouvons remercier Google ou Apple pour la mise à disposition de leur savoir-faire dans la gestion de cette crise sanitaire[4], nous devons nous interroger, comme Aymeril Hoang, sur cette « solution clé en main ». Qui sont ces maîtres du jeu numérique ? La méfiance populaire, presqu’instinctive en ces structures, emporte avec elle une crise d’autorité de l’Etat français. Est-il un pion dans cette partie de Go entre BigTech et donc entre les deux grandes puissances américaines et chinoises ? Ou est-il lui-même un joueur – comme le laisse sous-entendre la fabrication franco-allemande de cette application – qui est en train de construire sa stratégie numérique ? Si c’est le cas, a-t-il réellement les capacités de ses ambitions ? Et trouvera-t-on en son sein la protection et le respect de la Nation, intimement concernée par l’usage qui sera fait de ses données ?

 

CONCLUSION

Il est très singulier de constater que toutes les terreurs récentes ont abouties d’abord à des lois d’exception, puis à la normalisation de ces lois. Est-ce la norme de demain ?

La crise du Coronavirus a battu en brèche – et c’est heureux – un certain mythe de l’immortalité de l’Homme. Elle a également battu en brèche sa prétendue omnipotence. C’est également heureux car c’est précisément la conscience de sa fragilité qui conduit l’humain à créer, transmettre et évoluer.

Les réponses à la crise de ce virus ne doivent pas créer un Golem plus effroyable que le mal initial : une société sous la surveillance de quelques-uns. Une société désincarnée dans laquelle l’Homme se dissout au même rythme que son sens critique, son esprit d’analyse et finalement, sa capacité à évoluer.

En Octobre dernier, notre confrère François Sureau rappelait que « l’État de droit, dans ses principes et dans ses organes, a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes du peuple n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre public, et d’abord la liberté ». Soyons extrêmement vigilants en ces moments où un peu de sécurité justifierait la perte de beaucoup de liberté(s). C’est par sa liberté que l’Homme évolue, par sa créativité qu’il se magnifie. Il faut que l’Homme soit le cœur du projet et non le sujet de telle ou telle expérimentation mortifère. La France a eu l’expérience de la Terreur et de ses conséquences : n’envoyons pas les fondements de notre société à l’échafaud.

[1] La crise de la culture, 1961.

[2] https://climatechangenews.com/2020/04/09/european-green-deal-must-central-resilient-recovery-covid-19/

[3] On renverra par exemple utilement à la Charte de l’environnement de 2004 dont le préambule ne décrit l’espèce humaine que pour sa capacité destructrice : https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Charte-de-l-environnement-de-2004

[4] Pour rappel, Apple et Google ont annoncé le 10 avril un partenariat « dans le but d’aider les gouvernements et les agences de santé à réduire la propagation du virus »

 

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Sylvain Pelletreau

author-avatar

Avocat spécialisé en droit de l’environnement depuis plus de 15 ans, il conseille des industriels et des investisseurs pour les accompagner dans la gestion du risque industriel. Il intervient notamment en droit des installations classées, sites et sols pollués, déchets, émissions atmosphériques, eau. Après avoir exercé dans des cabinets renommés, Sylvain Pelletreau monte son cabinet en 2015, avant d’être coopté comme associé du cabinet Richelieu Avocats. Il est titulaire d’un DEA de droit de l’environnement (Paris I et Paris II, Panthéon-Sorbonne) et d’une maîtrise de carrières judiciaires (Paris II Assas).