Une agence de l’innovation en santé en France ? Une bonne idée sous conditions

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

Vincent Diebolt

Après la création de l’Agence de l’Innovation de défense en septembre 2018, suivie de celle de l’Agence de l’innovation pour les transports en avril 2021, la création d’une agence dédiée à l’Innovation en santé revient de manière persistante dans les milieux autorisés.

Effet de mode ou réponse pertinente à une réalité et à un besoin ?

La dynamique contrariée de l’innovation en santé en France

En France la météo est pour le moins contrastée sur le front de l’innovation en santé. L’ouragan qu’a représenté la crise sanitaire a joué un rôle de révélateur et dévoilé l’incapacité de notre organisation :

  • à réagir de manière adéquate, le plus grand désordre ayant régné entre les acteurs dont les initiatives, brouillonnes, se sont multipliées, sans concertation ni pilotage ;
  • à réagir dans les délais, puisque nous nous sommes fait doubler sur la recherche vaccinale par d’autres plus dynamiques et audacieux, comme l’illustre le semi-échec subi par Sanofi, notre fleuron pharmaceutique national, et le français Moderna qui a dû aller aux USA pour développer son vaccin faute de soutien réel en France ;
  • à mobiliser les moyens financiers nécessaires, faute de soutien comparable à celui mis sur la table aux Etats-Unis par le BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) créée pour anticiper la survenue de phénomènes pandémiques et s’y préparer

Après ce retard à l’allumage des avancées ont pourtant été réalisées par d’autres industriels, tel la biotech nantaise Xenothera dont le traitement prometteur d’anticorps polyclonaux anti COVID 19, en phase finale de développement, a fait l’objet début mai d’une pré-commande par le ministère de la Santé.

Hors COVID, d’autres succès récents d’entreprises françaises ont été enregistrés que ce soit pour le traitement de la rectocolite hémorragique par la société parisienne ABIVAX ou la rétinopathie pigmentaire par optogénétique, aboutissement d’une collaboration entre la société GenSight Biologics, l’Institut de la Vision et des laboratoires étrangers. Pour autant comme l’illustre le Rapport de la Cour des comptes sur « Les aides publiques à l’innovation des entreprises » publié en avril dernier, la coopération entre la recherche publique et l’industrie est une faiblesse de la France, classée au 24ème rang mondial sur les synergies entre secteur public et privé avec notamment un niveau de collaboration entre la recherche académique et l’industrie qui la classe au 26ème rang mondial.

C’est un facteur d’inquiétude alors que la hausse continue des dépenses de santé (10,2% du PIB en 2030) fait peser des doutes sur la soutenabilité de notre modèle et interdit le statu-quo. L’innovation conjuguée dans toutes ses dimensions est l’une des solutions, ce qui incite à soutenir la recherche biomédicale en favorisant les collaborations entre tous les acteurs académiques et industriels de la chaîne de création de valeur.

Entre ombre et lumière la situation demande à être revisitée en profondeur. L’occasion en est toute trouvée avec l’organisation, fin juin, de la 9ème réunion du Conseil stratégique des industries de santé, instance mise en place en 2004 pour renforcer l’attractivité de la France et qui réunit tous les deux ans au plus haut niveau les pouvoirs publics et les patrons des laboratoires pharmaceutiques, des sociétés du dispositif médical et de la « Health tech ». C’est une chance à saisir pour tirer les enseignements de ces deux dernières années qui n’ont ressemblé en rien à celles qui les avaient précédées.

 

La mise en place d’une Agence Innovation Santé, une mesure phare du prochain Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) ?

Ses tares originelles sont évidentes, et ses détracteurs auront beau jeu de les faire valoir, la 1ère étant de rajouter une strate de plus à un mille-feuille organisationnel d’opérateurs dans le domaine de la santé déjà très épais. Tout organisme intervenant dans le domaine de la santé, et ils sont très nombreux, s’entiche d’innovation, d’où des stratégies individuelles, compétitives et contre-productives rendant le système sous-optimal et ingouvernable. Par ailleurs, le précédent malheureux qu’a constitué la disparition soudaine, d’un trait de plume, en décembre 2019 de la Délégation à l’innovation en santé mise en place 3 ans plus tôt par le ministère de la Santé n’incite pas non plus à l’optimisme.

Justement devrait-on répondre. Tirons parti de cette expérience sans lendemain, minée d’emblée par son manque de poids et de légitimité, pour essayer de remettre un peu d’ordre à cette organisation foisonnante et fragmentée pour le plus grand bénéfice de l’innovation en santé et de ceux qui la portent. Si l’on additionne, au plan national, les directions des ministères de la Santé, de la Recherche, de l’Economie, l’Inserm et les organismes publics de recherche, les CHU, l’INCa , l’Agence nationale de la recherche, le Haut-commissariat au Plan, la Banque publique d’Investissement, le Secrétariat général pour l’investissement, et, dans les territoires, les 7 Pôles de compétitivité « Santé », les SATT, les DRRT (Délégations régionales à la recherche et à la technologie), DRARI (Délégations régionales académique à la recherche et à l’innovation), ce ne sont pas moins d’une soixantaine d’organismes publics, services et directions qui sont impliqués dans le portage de l’innovation en santé …

Ceci sans compter l’univers foisonnant des industriels en santé et de leur représentation.

 

Une réponse au besoin de pilotage national de l’innovation en santé

Avant de discuter de la forme qu’il pourrait prendre, interrogeons-nous sur les raisons qui pourraient justifier la mise en place d’un « pilote national de l’innovation en santé » et constituerait l’inspiration de sa feuille de route avec deux orientations principales :

1ère orientation : Donner de la perspective et de la visibilité à l’ensemble du secteur de la santé :

  • Donner de la visibilité dans un domaine et un secteur qui manque de partage de vision globale, prospective et pluri-annuelle. Cet « Horizon scanning », correspondant à la détection et l’évaluation d’impact des technologies émergentes, serait utile par exemple pour la construction du budget médicament et du dispositif médical au regard des données épidémiologiques, de l’arrivée des innovations technologiques, de leurs impacts sur l’offre de soins en termes d’organisation, et d’économies.
  • Accompagner l’émergence et le développement de l’innovation en santé. Comme le rappelle l’article de l’Opinion, « Innovation: les maux qui expliquent le grand déclassement de la France » (16 avril 2021) : « Sans débouchés industriels, la science ne devient pas innovation». Pour autant toute innovation ne trouvera pas son marché.

D’où l’intérêt de mettre en place sur le modèle du « Guichet innovation et orientation (GIO) » proposé par l’ANSM mais de plus grande envergure, un dispositif d’accompagnement, sous forme de « Conseil pluri-disciplinaire d’experts », des scientifiques, chercheurs, représentants de living-labs et potentiels entrepreneurs et du tiers payeur pour s’assurer qu’en bout de chaine leur projet répond à une attente, à un besoin et à une capacité de financement. Il s’agit de faire en sorte que la création de valeur soit récompensée ce qui demande à la fois de l’anticipation, de l’investissement et des engagements (de prise en charge).

Avec l’accélération de l’acquisition des savoirs, les progrès que laissent entrevoir le développement des démarches vaccinales préventives et thérapeutiques des cancers, de l’utilisation de l’ARN messager, on peut s’attendre à une intensification des découvertes scientifiques qui toutes ne trouveront pas leur débouchés et leur financement.

  • Implanter un référent national du réseau pléthorique d’organismes publics en charge de l’innovation en santé à qui serait confié certains leviers financiers et outils de pilotage emblématiques dont la gestion du dispositif dit de l’article 51 (de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018) qui instaure un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits.

Loin de prétendre tout régenter et remplacer, il s’agit de mettre en place un « maître d’orchestre » qui s’appuiera sur les territoires et les acteurs de terrain pour expérimenter, diffuser les bonnes pratiques et faire remonter les initiatives locales et régionales. A ce titre les ARS pourront jouer un rôle utile de relais et de courroie de transmission.

  • Promouvoir à l’international l’excellence française en santé ceci en lien avec Business France. Le courrier adressé mi-mai au Comité préparatoire du CSIS par un collectif associant l’AFCROs, le CNCR, France Biotech, le SNITEM et Unicancer, propose un plan d’actions avec deux priorités :
    • Améliorer l’orientation et le conseil des promoteurs d’essais cliniques, en particulier ceux connaissant mal l’organisation de la recherche en France
    • Déployer dans une logique « Attractivité/Export » des actions de promotion collective à l’international de l’excellence de la recherche clinique française

 

2ème orientation : Réaliser ce qui n’est pas fait aujourd’hui :

De la valeur ajoutée de son action, de ses délivrables, dépendra la légitimité de ce nouveau pilote. On peut citer pêlemêle :

  • Décloisonner en incitant et facilitant les partenariats public/privé, académique/industriels, l’exploitation des bases de données, via l’identification d’un mandataire qui puisse négocier avec les industriels en santé au nom de la collectivité des organismes publics, hôpitaux, organismes publics de recherche, ou, autre voie d’assouplissement, en diffusant à leur intention des outils support de contractualisation harmonisés.
  • Assurer l’interface avec la future « Health Emergency Response Authority » (HERA) européenne qui sur le modèle du BARDA américain est en cours de mise en place
  • Mise en place d’un registre national des essais cliniques en cours en France avec des moteurs de recherche dynamiques afin de faciliter le recrutement de patients et volontaires ;
  • Réaliser une évaluation des besoins de formation de pointe et organiser en lien avec les universités et les acteurs privés des cycles de formation correspondant aux besoins de la science et du marché

 

La solidité d’un acteur opérationnel mutualisant l’existant pour ne pas ajouter de la complexité

De l’incarnation du porteur de ces multiples actions dépend le succès de l’entreprise. Son portrait-robot compte trois traits principaux :

  1. Un rattachement au plus haut niveau, ce nouvel acteur devant avoir le maximum de latitude et d’autonomie, et donc relever directement du 1er ministre et de Matignon, ce qui lui donnera la légitimité nécessaire pour dépasser les « bisbilles » et les querelles de territoire et de compétence
  2. Une feuille de route claire avec un nombre relativement limité de missions et des délivrables clairement énoncés définis avec les industriels en santé et qui définisse les collaborations formalisées à mettre en place avec par type de fonctions les organismes et correspondants identifiés dans l’écosystème existant. Il sera bon du coup de profiter de la mise en place du nouvel opérateur pour en réduire le nombre afin de limiter la déperdition d’énergie et de moyens
  3. Une incarnation forte ce qui plaide pour un acteur opérationnel, et donc une agence indépendante, dirigée par une personnalité reconnue, un expert ayant une double expérience dans le secteur public et privé de la santé, plutôt qu’une formule plus informelle, mission ou délégation, instance légère et transitoire de mission à temps compté et limité.

Cet opérateur nouveau disposerait de leviers financiers à la hauteur des enjeux, et pourrait compter sur la supervision, voire du rattachement de compétences existantes aujourd’hui éparpillés dans plusieurs organismes. Il ne s’agit pas de démembrer mais d’asseoir d’emblée, sans délai, son existence sans créer de technostructure supplémentaire.

Avec l’espoir de la fin de la pandémie nous vivons un moment particulier où tout semble possible. La crise sanitaire aura eu le mérite de réhabiliter l’innovation en santé, mise à mal ces dernières années par des polémiques à répétition sur le rapport bénéfice-risque et les dangers cachés ou mal appréciés de produits mis sur le marché. Le principe de précaution ne doit pas pour autant devenir un principe d’inaction et l’effet d’urgence sanitaire l’aura rudement rappelé.

Saisissons l’opportunité et donnons sa chance à l’Agence de l’Innovation Santé. Son parcours sera semé d’embuches, de résistances corporatistes, et elle devra rapidement se faire une place et faire ses preuves. Pour autant et pour reprendre la formule d’Antonio Gramsci, « Le pessimisme de la connaissance n’empêche pas l’optimisme de la volonté ».

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

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