Taxer l’e-commerce, c’est favoriser Amazon !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Au concours Lépine de la fiscalité, les maires tentent de décrocher le gros lot. Jamais avare d’idées innovantes lorsqu’il s’agit de générer de nouveaux impôts, l’Association des Maires de France propose de créer une taxe sur le e-commerce, où 1€ serait prélevé sur chaque colis livré à domicile. Le but affiché est celui de la sauvegarde des commerces de proximité, à la fois en désincitant les consommateurs à faire leurs achats en ligne, tout en finançant un abattement de la taxe foncière à hauteur de 10% pour toutes les surfaces inférieures à 400 mètres carrés, qui est estimé à 335 millions €.

L’intention serait louable, si elle n’était pas dangereusement hypocrite. Ceux qui s’érigent aujourd’hui en défenseur des commerces de proximité en était hier les fossoyeurs. Depuis les années 2000, les recettes de la taxe foncière ont en effet doublé, frappant de plein fouet les petits commerçants qui n’ont pu lutter face aux grandes franchises qui ont une force de frappe financière supérieur et sont moins donc moins sensibles aux coups de massues fiscales. Imposer une taxe sur le e-commerce risque de les achever.

Amazon ne contrôle pour le moment que 20% du marché du e-commerce français (contre 50% du marché total aux Etats-Unis). Une proportion qui pourrait grimper grâce à cette nouvelle taxe. En 2017, ce sont plus de 500 millions de colis qui ont été livré grâce au e-commerce. En imposant une taxe à 1€ le législateur risque d’augmenter le prix de vente du même montant. Or dans ce cas précis, les commerçants français qui expédient leurs livraisons se retrouvent à lutter face à un géant du numérique valorisé à plus de 1000 milliards de dollars, qui réalise plus de 3 milliards de dollars de bénéfices trimestriels, et qui pourra se permettre d’absorber cette taxe supplémentaire pour rester compétitif face à ses concurrents. Amazon a toujours su démontrer dans sa courte histoire qu’il avait la capacité de casser les prix en maîtrisant ses coûts internes afin de conquérir les marchés de son choix et asphyxier ses concurrents. Il pourra ici rogner sa marge pour atténuer l’effet de la taxe, le consommateur se trouvera alors face à un arbitrage simple : soit commander sur Amazon, soit commander sur un site français qui aura été dans l’obligation d’augmenter ses prix. Nul doute que la distorsion de prix influencera un arbitrage qui ira en faveur d’un géant organisé comme Amazon, qui verra alors la concurrence fondre à mesure que sa domination grandira, et ce grâce à l’AMF.

Cet exemple illustre encore une fois que lorsque le pouvoir politique ambitionne de s’ériger en rempart contre les GAFA il en devient en fait leurs alliés objectifs et les bourreaux involontaires du commerce français.

Il en est de même au niveau européen. Pour tenter de réguler la domination des GAFA, la commission européenne souhaite instaurer une taxe à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaire. Un projet porté par les 28 ministres des finances de l’UE et qui risque d’affaiblir fortement l’éco système des entreprises européennes du numérique. Dans une lettre commune, 16 grandes entreprises technologiques européennes appellent Bruxelles à retire ce projet qui ruinerait selon elles leurs capacités d’investissements, les affaiblirait durablement et favoriserait donc fortement les GAFA qui ont des capacités financières beaucoup plus importantes.

La domination des géants américains du numérique pose d’importantes questions économiques et sociales et menace notre souveraineté. L’importance qu’ils ont pris dans notre économie devient inquiétante et doit nous alerter. Par exemple, la majorité des entreprises françaises utilisent des services Google pour leur gestion quotidienne. Que se passera-t-il demain si la firme californienne qui est en quasi situation de monopole décide de « débrancher » l’Europe car elle est insatisfaite de notre politique fiscale ?

On ne pourra s’affranchir de cette domination à coup de taxes, on ne fera au contraire que les renforcer. La seule façon d’imposer une régulation aux GAFA et d’encadrer leurs actions c’est la mise en concurrence avec d’autres géants européens robustes pour devenir à leur tour des géants mondiaux. Favoriser l’émergence de nouvelles plateformes européennes qui seront sous le contrôle législatif du droit communautaire est la solution la plus efficace qu’il faut absolument développer. Elle sera bien plus efficace que les solutions fiscales des politiques qui, ne comprenant pas le nouveau monde qui émerge, avancent dans anathèmes séduisantes en théories, mais dangereuses en réalité. Des solutions semblables aux saignées préconisées par les médecins du Moyen-âge comme unique solution à un mal inconnu, et qui facilitaient souvent la mort du patient.


Publié dans Les Echos

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