Sur les réseaux sociaux, les experts aussi doivent avoir droit à la parole

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Erwann Tison

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.

Erwann Tison

Lors de sa rencontre avec le PDG de Facebook, le président de la République a réaffirmé sa volonté d’encadrer les réseaux sociaux pour lutter contre les Fake News. Or en tentant de réguler les contenus on ne s’attaque pas à la cause de leur viralité : l’affaiblissement de la parole scientifique.

Les réseaux sociaux ont modifié notre rapport à l’information et la hiérarchie des connaissances en mettant sur le même plan toutes les paroles. S’ils ont permis le triomphe de l’amateur, concept imaginé par le sociologue Patrice Flichy représentant l’opportunité pour des personnalité brillantes situés hors des radars médiatiques d’accéder à la notoriété, ils sont également devenus un moyen pour des minorités organisées de tenter de renverser l’ordre établi, par la remise en cause de la parole des experts et de la rigueur scientifique pour ensuite viraliser des infox.

« Les réseaux sociaux ont généré une invasion d’imbéciles qui auparavant ne parlaient qu’au bar après un verre de vin et qui ont maintenant le même droit de parler qu’un Prix ​​Nobel ». Ce phénomène décrit par Umberto Eco illustre parfaitement notre époque où chacun peut donner son avis sur tout et n’importe quoi. Une situation qui n’est pas dangereuse si les opinions peuvent être contredites par des faits, dans une argumentation équilibrée et sourcée. Or cette contradiction est de moins en moins possible sur les réseaux sociaux, notamment à cause de choix techniques découlant de leur modèle économique.

L’architecture de ces plateformes est construite par des neurologues qui ont pour mission de nous faire rester le plus longtemps sur leur réseau, afin que l’on soit exposé à un maximum de publicités. Les travaux en sciences cognitives ont démontré que nous étions plus enclins à accepter des faits allant dans le sens de nos opinions plutôt que l’inverse. Pour éviter cette aversion, les plateformes ont développé des bulles cognitives visant à nous protéger de toutes dissonances, nous enfermant dans des cercles où nous avons que très peu de chances d’être contredit. C’est à l’intérieur de ces espaces fermés qu’une infox peut se répandre à grande vitesse, car véhiculée par des personnes aux idées similaires aux nôtres. C’est ainsi qu’en changeant en ce sens son algorithme de visibilité des publications en janvier 2018, Facebook a involontairement favorisé la multiplication et l’agrégation des gilets jaunes.

Enfermés dans leur bulle hermétique à la vérité des faits où règne un fort entre soi cognitif, certains internautes y ont développé l’illusion de la connaissance. Théorisé par les chercheurs en neurosciences Steven Sloman et Philip Fernbach, ce concept démontre que les individus ont tendance à plus facilement affirmer une opinion tranchée quand on leur demande de prendre une décision, mais sont beaucoup plus timorés lorsqu’on leur demande d’expliquer pourquoi. Pour Stephan Hawking, cette illusion est le premier ennemi de la connaissance. Et on ne peut que lui donner raison lorsque depuis 5 mois des avocats, des routiers, des philosophes, des chanteurs et consorts, exigent de refaire toute l’architecture fiscale et démocratique française, sans aucune connaissance ni maîtrise du sujet ou des incidences de leurs propositions. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, il suffit de se balader sur les ronds-points ou sur les groupes Facebook dédiés pour comprendre que la parole d’un expert est vilipendée, marginalisée et dispose de moins de poids que celle d’un internaute agissant sous pseudo. La raison est simple, celui qui exposerait des faits, qui se risquerait à affirmer que deux et deux égalent quatre, serait considéré comme un défenseur acharné de l’ordre établi, un complice du système.

Pire encore, ceux qui utilisent des faits scientifiques pour contredire certaines opinions en vogue, seront décrédibilisés en étant présentés comme corrompus. Si vous relevez qu’il n’y a pas de consensus sur la dangerosité du glyphosate vous serez soupçonné d’être un agent de Monsanto. Démontrez que le nucléaire est le meilleur allié de la transition énergétique et vous serez défini comme étant à la solde des lobbys du secteur. Affirmez que les vaccins sont indispensables pour protéger la population contre certaines maladies et vous serez catalogué comme vendu aux laboratoires pharmaceutiques.

« Vi Veri veniversum vivus vici[1] » écrivait Goethe. Force est de constater que certains utilisent au contraire celui de la controverse du réel pour conquérir les esprits, dérationaliser les débats et passionner les enjeux scientifiques, en étant bien aider par la modification des algorithmes cognitifs des réseaux sociaux. Rejeter la science, c’est favoriser celui qui hurle des inepties au profit de celui qui chuchote la vérité. Plutôt que de vouloir encadrer les réseaux sociaux, il faut éduquer à leur utilisation et redonner la parole à celles et ceux qui font primer les faits sur leurs opinions. C’est une mesure d’hygiène démocratique.

[1] « Par le pouvoir de vérité j’ai de mon vivant conquis l’univers »


Publié dans le Figaro

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.