Quand les intelligences artificielles humilient les docteurs

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Les Chinois ont organisé un grand barnum – avatar médical de la télé-réalité – opposant l’élite des radiologues et l’intelligence artificielle (IA). Ce sont les nouveaux jeux du cirque, dignes de la Rome antique, avec ses gladiateurs – les concepteurs de l’IA – et ses martyrs – les meilleurs spécialistes de la radiologie du cerveau -, qui sont humiliés en public.

Au début, les docteurs étaient aussi confiants que les champions du jeu de go l’étaient avant d’être écrasés par AlphaGo, l’IA de Google DeepMind. Le New York Times expliquait, en 1997, que la machine ne saurait pas jouer au go avant un siècle ou deux, mais AlphaGo a ridiculisé les champions, qui sont restés sans voix devant la puissance de la machine.

A-t-on encore besoin de radiologues?

La start-up Babylon Health, dont les fondateurs de DeepMind sont actionnaires, identifie désormais un problème médical avec la précision d’un expert humain. Par ailleurs, Babylon a obtenu un score de 81 % à l’examen de certification du Royal College of General Practitioners, alors que les jeunes médecins anglais obtiennent un score moyen de 72 %. De semaine en semaine, les territoires où l’IA dépasse les meilleurs médecins se multiplient : Google a présenté des résultats impressionnants en cancérologie dermatologique et en cardiologie.

Ces performances anxiogènes pour les médecins appellent trois commentaires. D’abord, il faut se méfier des effets d’annonce. Elizabeth Holmes, classée parmi les 100 personnalités les plus influentes en 2015, risque la prison pour avoir menti sur sa pseudo-technologie révolutionnaire d’analyses biologiques. Avec une fortune de 3,6 milliards de dollars en 2014, elle fut la plus jeune « self-made milliardaire ». Sa start-up Theranos était alors valorisée 10 milliards de dollars. Nous sommes dans une bulle technologique où beaucoup de start-up mentent effrontément…Tous les résultats des IA doivent être audités par des experts indépendants !

Ensuite, une importante partie de la population chinoise veut remplacer son médecin par des IA, tandis que moins de 1 Français sur 10 le souhaite. La médecine de demain bénéficiera donc d’un terreau favorable en Asie et pourrait aussi être made in China et pas seulement made in California. Enfin, le retard de prise de conscience des médecins est préoccupant au moment où Geoffrey Hinton, le grand spécialiste de l’IA, implore les doyens des facs de médecine de ne plus former de radiologues !

« Accepter d’évoluer sous peine de disparaître »

Le Pr Guy Vallancien explique la violence de cette mutation : « La FDA américaine a labellisé une IA pour faire le diagnostic de rétinopathies diabétiques sans validation par la signature d’un médecin. Mes confrères vont-ils comprendre qu’il est urgent de repenser l’intégralité de nos métiers au lieu de nous pavaner dans des lieux communs désuets ? Pour poser un diagnostic, le médecin procède lui-même par algorithmes sans s’en rendre compte. L’IA, par sa capacité à manier des données innombrables en un temps record, le dépassera dans la quasi-totalité des cas et la relation humaine n’est en rien spécifique au toubib. »

Guy Vallancien est inquiet : « Il faut surtout être lucide et accepter d’évoluer sous peine de disparaître, et vite. L’IA et la robotique se foutent de nos jérémiades pseudo-humanistes. Il faudrait en urgence développer des outils numériques européens : on n’en prend pas le chemin. C’est dramatique. »

Il sera bientôt interdit aux médecins de soigner un malade sans l’avis et l’aval des IA. Ce sera une terrible blessure narcissique pour ma profession : nous devons nous réinventer avant que nos patients nous abandonnent pour l’IA des géants du numérique, comme j’ai abandonné mon revendeur de pellicules Kodak et mon disquaire…


Publié dans l’Express

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