Quand le politique se méfie de la science

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.

Olivier Babeau

La France aime célébrer ses prix Nobel. En témoigne la pluie de félicitations qui s’abat systématiquement sur les lauréats, comme la microbiologiste Emmanuelle Charpentier a pu en faire l’expérience en octobre dernier, en recevant le Nobel de chimie. Le gouvernement s’est naturellement joint au choeur des célébrants, heureux de mettre en avant l’excellence de nos universités – situation ironique quand on sait que la Française a choisi de quitter notre pays pour mener ses recherches.

Réglementation sur les OGM

Il est surtout piquant de voir nos gouvernants saluer une découverte majeure – le CRISPR-Cas9 – quand la France fait de facto tout le nécessaire pour en freiner les applications. Que cache ce sigle un peu rébarbatif ? Créée en 2012, cette technique d’édition du génome, aussi désignée sous le nom plus parlant de « ciseaux moléculaires », permet de supprimer ou d’ajouter des fragments de matériel génétique avec une grande précision. On imagine sans peine les applications permises par cette nouvelle technologie, notamment dans le domaine végétal. De nombreux laboratoires se sont d’ailleurs saisis de cet outil pour la recherche fondamentale – mais sans application possible pour l’agriculture en France, où la réglementation sur les OGM forme un obstacle persistant.

La situation est-elle amenée à changer ? On peut en douter. En juillet, le Haut Conseil des biotechnologies, interrogé par le gouvernement, rendait ses conclusions sur la question de la mutagénèse in vitro, technique employée depuis les années 1970, qui consiste à opérer des mutations en laboratoire sur des cellules végétales, comme le procédé développé par Emmanuelle Charpentier. Selon les spécialistes siégeant dans cette institution, rien ne permet d’établir une distinction scientifique valable entre les mutations de plantes in vivo et in vitro. Le gouvernement s’est hâté de négliger cet avis et s’apprête à modifier le Code de l’environnement pour rendre impossible la culture des plantes obtenues par ce procédé, y compris par la technique révolutionnaire mise au point par la Nobel française…

Tout cela prêterait à rire si cette histoire n’était pas symptomatique du rapport dégradé de nos politiques avec le savoir scientifique. Il ne viendrait naturellement à l’idée de personne de critiquer directement la science, mais force est de constater que sa prise en compte semble de plus en plus optionnelle dans le processus de décision politique.

Rétropédalages

Ce phénomène tient sans doute au poids toujours plus grand de l’émotion dans le débat politique. Le bruit des associations militantes et des médias sur certains sujets – nucléaire, glyphosate ou encore OGM – rend impossible un examen serein de ces questions. Si les politiques sont prêts à soutenir le consensus scientifique (et à raison !) sur les questions climatiques, ils sont moins nombreux à défendre la vérité scientifique sur des sujets moins populaires.

Pour le politique, forte est au contraire la tentation de la surenchère, pour mettre en scène sa capacité à agir : interdire telle ou telle substance ne coûte pas grand-chose, ou seulement aux industriels. Il est beaucoup plus facile de prendre les sujets par le petit bout de la lorgnette que de définir de grandes orientations stratégiques. On adore décréter des interdictions qui donnent au public le sentiment immédiat de l’action, quitte à multiplier discrètement les rétropédalages. On est beaucoup moins enclins à définir une véritable vision d’ensemble, en dépit de tous les discours ambiants sur la promotion de l’innovation.

En agissant de la sorte, les décideurs contribuent toutefois à l’inquiétante décrédibilisation de la science. Le politique croit encore nécessaire de demander leur avis aux comités qu’il a souvent mis lui-même en place, pour la forme, mais il se croit rarement obligé de prendre les décisions qui découleraient logiquement de ce savoir – surtout quand ces décisions ne vont pas dans le sens du vent. C’est un calcul de court terme, qui revient à scier la branche sur laquelle le politique est lui-même assis : comment convaincre demain les Français de se vacciner contre le Covid-19 sur la foi de scientifiques dont on ne cesse de saper l’autorité et de négliger les avis ?


Publié dans les Echos

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