Nous importons de la production d’eau du Maroc sous forme de tomates.
Soyons conscients des enjeux cachés dans les pays fournisseurs de cette course aux productions, « délocalisées », à bas prix dans les étalages de nos magasins.
Fabrice Gouennou est agriculteur et entrepreneur depuis plus de 20 ans en pointe Bretagne. Il a développé des solutions en économie circulaire pour sa filière afin de concilier besoin énergétique et culture agricole. Il propose ses solutions pour faire avancer les transitions. Passionné d’évolution sociétale au cours de l’Histoire. Il est Expert de l’Observatoire Agricole de l’Institut Sapiens.
Avec les fortes pluviométries de ces derniers mois, les boutades sont légions sur comment pouvoir apporter nos excédants d’eau aux régions qui en sont en déficit.
Il existe pourtant une solution pour transporter de l’eau. Le Maroc est devenu le spécialiste de cette méthode, mais est-ce vraiment la bonne ? Par ses capacités de production agricole, le Maroc est devenu le jardin potager de l’Europe avec son produit phare : la tomate. En 2022, le Maroc est passé au 3ème rang mondial des pays exportateurs de tomates via les différentes marques : Azura, Idyl, Cofima…
La tomate contenant 94% d’eau, elle est un réservoir tout trouvé pour transporter de l’eau. Pour sa culture, il faut de l’ensoleillement et de l’eau. Le sud du Maroc et plus particulièrement le secteur d’Agadir est la zone utilisée pour la culture de la tomate. Dans cette région au climat aride, l’ensoleillement n’est pas un problème pour activer la photosynthèse des plantes. Mais, avec une pluviométrie inférieure à 150 mm d’eau par an, les besoins en eau étaient assurés au début par une distribution de canaux en béton qui permettaient de faire descendre l’eau des montagnes de l’Atlas. Avec la forte augmentation des surfaces de production, les apports des canaux ne suffisent plus. La fourniture en eau se fait de plus en plus par de la désalinisation d’eau de mer.
Ce procédé technique permet en zone côtière de transformer l’eau de mer en eau d’irrigation pour les cultures maraîchères. Il devient de plus en plus la solution majoritaire. Le problème de ce procédé de désalinisation est son fort besoin en énergie. Cette énergie consommée est loin d’être décarbonée et son coût est non négligeable au vu des investissements consentis qui se montent à plusieurs centaines de
millions d’euros. Ce coût supplémentaire pour le kilo de tomate est absorbé par la faiblesse du salaire des ouvriers agricoles payés 0.70 €/h, le salaire horaire d’un ouvrier en France au 19ème siècle.
Si nous y regardons de plus près, la consommation en eau de ces cultures au Maroc est 2 à 3 fois plus élevée que pour des productions en France. Le climat sec et les fortes températures du sud du Maroc augmentent de manière significative l’évapotranspiration des plantes et par ricochet la quantité d’eau nécessaire pour obtenir un kilo de tomate. Cette eau ne tombant pas du ciel dans cette région, il faut la produire car les quantités disponibles des montagnes de l’Atlas se réduisent de plus en plus avec le réchauffement climatique. Cette eau issue des montagnes doit aussi alimenter les besoins des populations locales. La concurrence des usages en eau devient rude.
La disponibilité en eau à Agadir est un vrai problème, tout comme dans d’autres villes marocaines. Des coupures d’eau potable sont régulières pour les habitants et sa consommation est encadrée. Il parait contradictoire de restreindre l’eau de la population pour en fournir à d’autres pays sous forme de tomate.
Cette production de l’eau a un coût financier certain mais aussi un impact sur la société marocaine. L’impact du transport des tomates sur 3 000 km est à prendre en compte également dans ce contexte sociétal. Certes, le Maroc a besoin de faire du commerce pour développer son économie mais il faut que de notre côté nous soyons conscients des enjeux cachés de cette course aux productions, « délocalisées », à bas prix dans les étalages de nos magasins.