Ne m’appelez plus jamais Air France

AUTEUR DE LA PUBLICATION

La France est le pays où, plus qu’ailleurs, les symboles l’emportent sur la raison. Air France, que beaucoup considèrent encore comme une sorte de bien national, connaît un pitoyable déclin dont la grève actuelle est l’ultime étape, faute d’avoir su doubler son prestige d’une stratégie assumée. Pour ranimer une compagnie en état de mort cérébrale, un électrochoc est encore possible. Il faut pour cela que l’Etat se retire au plus vite du capital d’Air France-KLM.

L’Etat est le pire des actionnaires. Le portefeuille de ses participations est beaucoup plus le résultat d’une stratification historique que d’une construction cohérente. Cette absence de vue d’ensemble s’accompagne d’une attitude rarement favorable à l’égard de chacune des entreprises. Aucun actionnaire n’est plus vorace que lui : EDF s’est ainsi fait saigner à blanc entre 2005 et 2015 en devant verser 20 milliards d’euros de dividendes… Surtout, l’Etat a le grand défaut d’alterner indécision pure et visions contradictoires. Les objectifs de régulation s’opposent aux visées politiques qui elles-mêmes font pièce à la rationalité économique, tirant les pauvres organisations à hue et à dia.

La situation d’Air France-KLM ne serait pas aussi catastrophique sans cet actionnaire tantôt aboulique, tantôt schizophrène et le plus souvent cupide. La présence de l’Etat au capital donne de plus à l’entreprise un redoutable (et trompeur) sentiment d’immortalité. A l’image du « too big to fail » qui a protégé tant de banques, Air France se croit sans doute « too symbolic to fail ». Une compagnie qui porte (littéralement) si haut les couleurs de notre drapeau et qui incarne un peu du raffinement français semble ne pas pouvoir disparaître. Ceux qui pensent cela ont tort : c’est oublier les Pan Am, TWA, Swissair, Sabena et bientôt Alitalia qui ont déjà rejoint le cimetière des marques mortes.

Débarrassée de son actionnaire public, associée à un partenaire avec qui développer de nombreuses synergies, la compagnie française peut espérer accomplir enfin son indispensable mue

Redoutable concurrence. C’est oublier aussi que l’aérien connaît aujourd’hui une redoutable concurrence. Pour rester rentable, une compagnie doit atteindre une taille critique, s’assurer le contrôle des meilleures liaisons et être capable de positionner clairement une offre dans un marché de plus en plus dual (low cost d’un côté, haut de gamme de l’autre).

Dans ce contexte, l’idée d’une cession des participations de l’Etat dans Air France-KLM au groupe Accor est incontestablement séduisante. Non seulement elle substituerait à l’indécision publique un actionnaire qui a fait preuve de sa capacité à se moderniser et à mettre en œuvre une vraie stratégie de développement, mais encore elle viendrait faire du nouvel ensemble un champion européen du voyage proposant des offres combinées transport plus hôtel commercialement efficaces. De quoi atteindre le poids nécessaire pour qu’une plateforme détenue en propre rivalise avec les géants numériques Booking ou Expédia, évitant ainsi de voir confisquée une bonne partie de la marge dégagée par ces plateformes.

Abîmée par les grèves et la passivité au moment où tous les concurrents se transforment, Air France peut encore se ressaisir. Débarrassée de son actionnaire public, associée à un partenaire avec qui développer de nombreuses synergies, la compagnie française peut espérer accomplir enfin son indispensable mue. Le meilleur service que l’Etat puisse aujourd’hui rendre à Air France serait, pour paraphraser la chanson de Sardou, de la « laisser tomber ».


Publié dans l’Opinion

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