L’Europe ou les infortunes de la vertu

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.

Olivier Babeau

Les économistes connaissent bien le problème du passager clandestin : en l’absence de contrainte, chacun a tendance à vouloir se comporter comme le passager d’une croisière qui ne paierait pas son billet. Ce début de siècle consacre un problème inverse auquel on n’avait peut-être pas assez pensé : le cas où, par d’étranges circonstances, un seul est honnête quand tous les autres transgressent dans leur propre intérêt.

Concurrence libre et non faussée

Face aux vertigineux défis posés par les nouvelles technologies, la vieille Europe adopte systématiquement une attitude vertueuse qui serait fort recommandable si malheureusement à peu près tout le monde ne prenait pas l’option inverse.

En matière de concurrence, nous avons été longtemps  les chevaliers blancs d’une concurrence libre et non faussée pourfendant sur notre sol les concentrations – telle la fusion interdite entre Alstom et Siemens – pour mieux livrer nos consommateurs aux acteurs venus d’outre-Atlantique et d’Asie. Nous nous retrouvons avec les inconvénients des concentrations que nous voulions fuir – le pouvoir de marché – sans en avoir les éventuels avantages – les ressources fiscales.

Nous appelons à  l’interdiction des robots tueurs et des intelligences artificielles malveillantes, mais en cas de conflit les pays qui en disposeront seront certains d’une victoire écrasante. Nous oublions que le désarmement n’en sensé que s’il est multilatéral.

Quotient intellectuel dopé

Nous avons interdit à nos citoyens de faire analyser leur génome et nous avons banni  la recherche sur les manipulations génétiques , alors que dans d’autres pays ces techniques font l’objet d’intenses travaux et de frappantes découvertes. La Chine ne cache pas sa volonté de trouver des façons de faire naître des enfants au quotient intellectuel dopé, mais au nom de l’égalité nous voulons rester aveugles à la « guerre des intelligences » – selon l’expression de Laurent Alexandre – qui fait rage.

Au nom de l’exemplarité écologique,  nous fermons nos centrales nucléaires et nous perdons un précieux savoir-faire technologique, alors que la Chine, toujours elle, fait fonctionner des EPR dernier cri.

Par idéologie nous avons interdit les OGM tandis que les semences génétiquement modifiées sont utilisées dans de nombreux endroits avec profit, comme le riz doré au Bangladesh.

Nous résistons à la modernisation économique brutale qui a cours ailleurs et à l’autoritarisme permis par  la surveillance de masse . Mais ce faisant, nous devenons des démocraties chaotiques incapables de nous réformer face à des techno-dictatures réglées comme des Formule 1.

Conte philosophique

L’Europe excelle aux moratoires. Elle sait mieux que personne instituer des comités d’éthique, réglementer et fiscaliser. Parce qu’elle est la seule vertueuse – ou se considérant telle -, l’Europe est en train de devenir le « gilet jaune » du monde : un continent désespéré de son déclassement dans un environnement qui avance trop vite pour lui.

Les infortunes de la vertu et la prospérité du vice sont un thème cher à Sade, qui en fit un conte philosophique du fond de son cachot de la Bastille. Après avoir constaté que les gentils n’ont « pourtant jamais rencontré que des épines lorsque les méchants ne cueillaient que des roses », ne pourra-t-on penser comme lui que « la vertu telle belle qu’elle soit, quand malheureusement elle devient trop faible pour lutter contre le vice, devient le plus mauvais parti qu’on puisse prendre et que dans un siècle entièrement corrompu le plus sûr est de faire comme les autres » ? Disons-le autrement : est-il raisonnable d’être les seuls à être raisonnables dans un monde qui ne l’est pas ?


Publié dans les Echos

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