Les syndicats sont les meilleurs promoteurs du progrès technique

AUTEUR DE LA PUBLICATION

La volonté des syndicats de bloquer les transports en commun pourrait pousser les usagers à utiliser de nouvelles formes de transport plus innovantes.

Chaque jour, plus de 5 millions de Français prennent le train. Autant de personnes, actives pour la plupart, pour qui la mobilité est essentielle. Les grèves à la SNCF et à Air France semblent mal acceptées : selon un sondage Odoxa deux tiers des Français les jugent complètement injustifiées.

Cette incompréhension n’est pas étonnante tant les revendications sont éloignées des préoccupations quotidiennes des usagers : les cheminots manifestent pour que les nouveaux entrants continuent d’avoir accès à un statut datant du Conseil National de la Résistance ; les pilotes de ligne se mettent en grève pour obtenir une augmentation de 6% de leurs salaires alors que la croissance des salaires ne sera que de 0,8% pour l’ensemble des salariés français sur l’année 2018 selon l’OCDE !

Freiner la mobilité de plusieurs millions de Français pour des revendications aussi corporatistes sans jamais se soucier de l’efficacité du service pour les usagers (qui sont en fait des clients), peut constituer une formidable occasion d’accélérer le progrès technique. L’innovation se développe très souvent dans un environnement hostile et émerge sous la contrainte. L’arrivée d’un nouveau procédé technologique ne se prévoit pas et son acceptation sociale ne se décrète pas, car il répond avant tout à  un problème ou un besoin conjoncturel.

Lorsqu’une entreprise en position de monopole défaille ou est dans l’incapacité de proposer son service, les offres concurrentes se ruent sur le marché pour en picorer des parts. Les grèves printanières profiteront à court terme aux plateformes de covoiturages et aux entreprises de transport par autocars. A long terme, c’est la technologie qui concurrencera les transports traditionnels.

Parmi ces innovations, il y aura le développement des véhicules autonomes, qui regrouperont les voitures, les trains, ou encore les avions, des alternatives qui seront sans nul doute de plus en plus étudiées tant elles vont coûter comparativement moins cher aux entreprises tout en évitant les désagréments sociaux. Selon UBS, l’avion sans pilote, que Boeing espère déployer en test pour 2019, pourrait faire économiser près de 30 milliards d’euros par an aux compagnies aériennes, faisant par exemple ainsi bondir les bénéfices d’Air France de 60% ! Une autre innovation pourrait émerger suite à ce mouvement de grève, le télétravail. Cette pratique née dans les années 1950 aux Etats-Unis n’est aujourd’hui adoptée que par 2% des actifs français (contre 35% dans les pays anglo-saxons), une proportion qui devrait bondir dans les prochaines semaines avec le ralentissement des solutions de mobilité.

La plus grande barrière à lever dans les prochaines années concernant les transports autonomes est sans doute psychologique, les Français n’étant pas encore prêts à prendre place dans un véhicule sans pilote. Le mouvement de grève qui débute pourra être le catalyseur psychologique poussant les usagers à envisager une mobilité sans conducteur humain. Une prise de conscience qui permettra alors à une innovation de traverser ce que Geoffrey Moore appelle the chasm  (l’abîme), facilitant ainsi son passage d’un marché de niche à un marché de masse.

Une journée de grève représente une perte de 20 millions d’euros environ pour l’entreprise de transport. On peut parier que la perspective d’obtenir une alternative technologique innovante offrant une un service sans interruption, à coût moindre, sera le déclencheur d’investissements en faveur des transports autonomes.

Le mouvement de blocage qui était autrefois l’arme la plus efficace pour obtenir un nouvel acquis social deviendra ainsi un moyen très efficace de faire accepter aux usagers la mise en place d’une solution technologique innovante.

Il faut donc voir dans ces manifestations corporatistes un excellent moyen de faire pénétrer ces innovations de rupture. Sans le savoir (et sans le vouloir !), les syndicats appelant à la grève seront ainsi les grands facilitateurs du progrès technique, favorisant un bond technologique important, en faisant gagner des années de recherche et développement et d’appropriation psychologique. Une grève totale et générale dans les transports serait ainsi, à la limite, une excellente nouvelle. En paralysant tout le trafic français, elle ferait émerger à grande vitesse les technologies de transports autonomes. La grève, vite !


Publié dans les Echos

AUTEUR DE LA PUBLICATION