Les leçons à retenir de Boisguilbert, père du libéralisme français

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Erwann Tison

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.

Erwann Tison

Le mot libéralisme ce terme devenu grossier, revêt souvent une connotation péjorative. Sa caricature et sa mauvaise utilisation ont vidé de toute son essence un concept dont la paternité est attribuée à un économiste français.

Contemporain à Louis XIV, Pierre Pesant de Boisguilbert n’était ni un noble ni un érudit. Grâce à son intuition et par la simple observation de son environnement, il va élaborer les plus grands concepts économiques. Que ce soit Keynes, Friedman, Smith, Hayek ou même Marx, tous se sont nourris de ses intuitions pour construire leurs grandes théories. Des intuitions que nous serions bien inspirés de lui emprunter.

L’interdiction de spéculer

Le libéral Boisguilbert était contre l’accumulation de monnaie et de biens à titre spéculatif. Pour lui la véritable richesse réside dans le triptyque suivant : des vêtements, un logement et une éducation. La richesse se situe dans l’économie réelle, et non dans la sphère monétaire. Si la nature ne peut fournir que 3 unités d’un bien, il est inutile d’en vendre 5 par avance pour chercher à augmenter son profit. Pour lui, c’est de ce genre d’acte contre nature que naît la violence entres individus, issue de l’exploitation des uns par les autres. La spéculation va nuire également à la nature elle-même. Une des premières règles libérales est « on ne peut prendre à la terre plus que ce qu’elle nous donne », et lorsque l’on sait que le 8 août 2016, l’humanité avait déjà consommé ce que la terre est capable de générer en une année, on se dit que l’on a besoin de plus de libéralisme.

La financiarisation outrancière que nous connaissons aujourd’hui n’a donc rien de libérale et doit être encadrée pour laisser place au réel. Il n’y a qu’à voir les effets qu’a eu l’éclatement d’une bulle spéculative sur l’immobilier il y a 10 ans pour se convaincre que la titrisation sauvage a une influence néfaste sur l’économie réelle.

La non-intervention de l’Etat dans l’économie

Boisguilbert s’oppose au Colbertisme. C’est du libre-échange entre les individus que va naître la richesse nécessaire à la prospérité. Le boulanger sait que pour que le comédien vienne lui acheter son pain tous les matins, il doit se rendre au théâtre le soir pour lui en donner les moyens, et vice versa. Ce n’est pas à l’Etat de fixer par la subvention ou la règle, le nombre de représentations que le boulanger doit voir par semaine. Toutes les professions forment un équilibre harmonieux que l’intervention publique, méconnaissant ce qui est bon pour un boulanger ou un comédien, viendrait casser. Un principe que l’on peut mettre en lumière avec la volonté publique d’imposer la requalification en salariés de certains micro-entrepreneurs « uberisés », nouvelle forme de travail issue de la volonté d’échapper aux contraintes du salariat, ou encore celle de vouloir conserver un code du travail unique s’appliquant de manière uniforme dans toutes les entreprises.

Pour Boisguilbert, le Roi devait régner et ne surtout pas gouverner. Les missions de l’Etat devaient se résumer à protéger physiquement les individus, leur garantir l’égalité, les instruire et leur assurer des conditions de vie dignes. Tout autre interventionnisme étant à prohiber pour garantir la prospérité. Une leçon dont nous devrions nous inspirer face à un Etat qui dépense chaque année 57% de la richesse produite et pratique une inflation normative et réglementaire exponentielle pour façonner l’économie selon les désirs des dirigeants.

La nuisance des monopoles et des corporatismes

L’existence d’un monopole est pour lui, contre nature. Si on laisse les individus commercer de manière libre, sans que la spéculation soit possible, on empêche la création de monopoles qui viendront, de facto, nuire au marché. Il en est de même pour les corporatismes dont l’intérêt premier est la défense de leurs privilèges. Cette réflexion du 18ème siècle se manifeste aujourd’hui par les perfusions de l’Etat à destination de certaines professions réglementées en position de monopole, dans une logique anti-darwiniste, pour échapper à la révolution numérique. Ou encore par la volonté de certains syndicats de vouloir d’abord défendre leur monopole en restant les acteurs uniques du dialogue social plutôt que de laisser les salariés fixer leurs propres conditions de travail directement au sein de leur entreprise.

La mise en place d’une fiscalité juste et universelle

Autre idée forte de Boisguilbert méritant d’être étudiée, la mise en place d’une « Flat-Tax » sur les revenus, payée par tous. Additionner le nombre de taxes, redevances et d’impôts est nuisible pour une économie. Prélever principalement l’impôt sur un petit nombre d’individu fait fuir l’investissement. On ne peut qu’approuver quand on voit que seulement la moitié des français paient l’impôt sur le revenu, dont 50% des recettes sont prélevées sur seulement 2% des contribuables. Mettre en place un impôt unique et universel, permettrait de rétablir la justice sociale, d’augmenter les recettes publiques et donc de permettre une plus grande efficacité de notre politique fiscale.

La vision libérale est une philosophie complète, qu’il ne faut pas amalgamer avec la vision capitaliste qui correspond à la privatisation des moyens de production et encore moins avec la vision patronale, exclusivement tournée vers l’entrepreneur.

Flat-Tax, lutte contre les monopoles, interdiction de spéculer, règle verte, non-intervention de l’Etat dans le marché : les idées libérales de Boisguilbert, décédé il y a plus de 300 ans mériteraient d’être déterrées. Elles constitueraient un programme économique ambitieux et équilibré pour cette élection présidentielle, en proposant un projet de rupture et de bienveillance qui semble s’imposer à notre pays.

Après tout, comme le disait Anaxagore « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau». Il en est de même pour les bonnes idées. Alors, osons le libéralisme !


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Erwann Tison

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Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail, aux questions de formation et aux problématiques européennes. Il est également chargé de cours à la faculté d'économie de l'Université de Strasbourg. Il codirige également les observatoires "santé et innovation" et "emplois, formation et compétences" de l'Institut Sapiens. Il a publié « les robots, mon emploi et moi » (2019) et « un robot dans ma voiture » (2020) aux éditions ESKA.