L’erreur de la taxe Gafa

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Le but précis de la taxe annoncée par Bruno Le Maire sur le chiffre d’affaires des entreprises proposant des services numériques en France n’est guère clair. S’agit-il en effet de punir les géants américains ? Même si Facebook devait payer à hauteur de son chiffre d’affaires réel en France, estimé à 900 millions d’euros environ, l’entreprise ne s’acquitterait que de 45 millions d’euros. Une piqûre de moustique fiscale pour un groupe qui enregistre des bénéfices mondiaux de 4 milliards de dollars.

S’agit-il de remettre les finances de l’Etat à flot ? Le déficit budgétaire 2019 devrait dépasser les 100 milliards d’euros. Les 500 millions espérés seront une goutte d’eau dans le tonneau des Danaïdes de nos finances publiques. Des miettes fiscales tombant d’une table dont nous envions le festin.

S’agit-il d’entraîner le reste de l’Europe après nous, en donnant un exemple magnifique ? Le précédent de la taxe sur les billets d’avion mise en place par Jacques Chirac devrait nous alerter : nous sommes restés à peu près seuls à faire ce beau geste si bien que ledit prélèvement a gagné le doux nom de « taxe Air France », car celle-ci n’est à peu près payée que par cette compagnie, qui, on en conviendra, n’était pourtant pas en reste en matière de difficultés à surmonter. Au même moment, la concurrence fiscale entre les Etats fait plus rage que jamais. Si la question de la juste participation des GAFA à l’économie se pose bel et bien, il y a beaucoup de naïveté à toujours imaginer que l’harmonisation fiscale ne devrait se faire que par le haut, au profit des cigales européennes et non des fourmis.

En réalité, comme si souvent en matière de décision fiscale, les gains à court terme sont l’arbre qui cache la forêt des effrayantes pertes induites.

Absurdité économique. Une taxe assise sur le chiffre d’affaires est une absurdité économique qui vient aggraver un problème inlassablement dénoncé (mais sans aucune réaction de la part de nos politiques) : le poids de nos impôts sur la production, qui accusent en France un différentiel de 13,5 milliards d’euros par rapport à l’Allemagne. De telles taxes, qui sanctionnent un chiffre d’affaires sans rapport avec les charges, sont des non-sens absolus. La taxe GAFA devrait toucher environ 150 sociétés, dont seulement la moitié d’américaines. LeBonCoin, Criteo, Cdiscount ou Showroom Privé font partie des entreprises françaises qui pourraient bien tomber sous le coup de la nouvelle obligation fiscale. Nombre de ces jeunes entreprises, pour prospères qu’elles soient, ne font pas de bénéfice ou enregistrent une marge très réduite. La taxe GAFA pourrait bien s’avérer une bénédiction pour les GAFA eux-mêmes, en affaiblissant les concurrents moins solides obligés pour certains de répercuter la taxe en hausse de prix.

Second effet induit probable : l’établissement des sièges européens de ces entreprises risque d’être choisi de préférence hors de France, et le nombre d’employés sur notre territoire minimisé. Le numérique, c’est tout le problème, se joue des frontières…

Ne prenons pas les GAFA pour nos oncles d’Amérique : la perspective d’un magot que l’on pourrait saisir en étendant la main rend fou un Etat impécunieux qui ne sait plus où gratter pour accroître ses recettes. Demandons-nous plutôt, encore et toujours, comment nous donner les moyens de créer nous aussi en Europe des entreprises qui conquerront le monde.


Publié dans l’Opinion

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