Le luxe et l’essentiel

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Jamais la préoccupation écologique n’a semblé si présente en France . On peut s’en réjouir. Il faut se garder néanmoins d’accueillir sans examen toutes les propositions « vertes » qui fleurissent. L’efficacité apparente des mesures proposées cache parfois de redoutables effets secondaires : par exemple, le bilan carbone réel de l’éolien et du solaire devient catastrophique en l’absence d’une énergie pilotable comme le nucléaire. L’écologie scientifique doit ainsi prendre garde à éviter les innombrables idées reçues et visions simplistes en matière de préservation de l’environnement.

Interdire le « luxe »
D’autres arguments désormais proposés dans les médias par quelques représentants de l’écologie de gauche posent un problème d’un autre ordre : il s’agirait, en substance, de limiter voire d’interdire « le luxe », c’est-à-dire les consommations inutiles, pour se recentrer sur « l’essentiel ». La distinction paraît séduisante et on trouvera sur les réseaux sociaux bien des commentateurs pour la soutenir. En réalité, elle fait partie de ces fausses évidences que nous devons combattre avec d’autant plus de force qu’elles sont porteuses de graves menaces pour notre système politique.

L’économiste ne distingue pas la consommation utile de l’inutile. Pour lui, tous les besoins sont également respectables dès lors qu’ils sont ressentis par l’individu. Les tentatives de distinction se heurtent à des obstacles radicaux. Devrions-nous limiter, par exemple, la consommation acceptable aux seules fonctions vitales ? Mais comment en circonscrire les limites ? Faudrait-il fixer un nombre de calories par personne ? Quelle boisson autre que l’eau pourrait être jugée indispensable ? Faudra-t-il aussi classer les activités culturelles parmi les accessoires dont on peut se passer ?

Une logique dangereuse
Une rapide prise de recul historique nous permet de plus de comprendre que dans bien des cas, le luxe d’hier est devenu la consommation normale d’aujourd’hui : non seulement se nourrir tous les jours, mais aussi s’éclairer (les bougies étaient chères), se chauffer, se déplacer, se soigner, communiquer à distance, etc. C’est tout le mérite de nos sociétés à économie de marché que d’avoir démocratisé le luxe d’hier. On peut souhaiter que les émissions françaises de CO2 (déjà parmi les plus faibles par habitant de tous les pays développés) se réduisent encore, mais vouloir les diminuer en décrétant que tel service, comme les transports aériens ou la 5G, sont un luxe, n’est pas seulement dénué de sens objectif : c’est surtout une logique dangereuse qui érigerait la puissance publique en censeur moral soumettant nos libertés à l’arbitraire de ses décisions. Le contraire de l’Etat de droit. Si aujourd’hui un clergé vert autoproclamé, ou demain une administration, peuvent décider de restreindre l’accès à tel bien ou tel service au motif qu’il serait inessentiel, la liste des consommations interdites n’aura virtuellement pas de fin : demain, la viande, le chauffage, les restaurants, la décoration… Le point d’aboutissement de cette logique est l’établissement d’une courte liste de biens basiques, vendus dans des magasins nationaux et distribués par carte de rationnement. Sauf à faire de Cuba ou de l’ex-Union soviétique un modèle, cela ne peut pas être la voie dans laquelle notre pays s’engage.

Le débat écologique a besoin de sortir d’urgence de la gangue idéologique dans laquelle il est enfermé dans notre pays. Il est temps de faire de l’écologie un sujet abordé scientifiquement, ouvert à l’innovation et pragmatique, évitant toute pollution par des agendas révolutionnaires et anticapitalistes.


Publié dans les Echos

AUTEUR DE LA PUBLICATION