Le coût du confinement n’est pas qu’économique

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.

Olivier Babeau

Pyrrhus Ier, roi d’Épire, remporta contre les Romains au IIIe siècle avant notre ère des victoires qui lui coûtèrent tellement d’hommes qu’elles étaient équivalentes à des défaites, tant elles laissaient son armée affaiblie. Est-ce une semblable victoire paradoxale que nous sommes en train de remporter sur le coronavirus? Il est possible de le craindre.

Une décision politique a cela de commun avec un traitement médical qu’elle est toujours un arbitrage entre coût et bénéfice. À un moment, nos responsables politiques devront décider quand les bénéfices des mesures prises deviendront inférieurs aux nuisances qu’elles produisent. Dans une tribune publiée dans Le Monde, l’ancien directeur général de la santé William Dab considère que «nous entrons dans une période où le confinement aura plus d’inconvénients (économiques, psychologiques, familiaux) que de bénéfices». On sait que les autres affections médicales, qui n’ont aucune raison de disparaître pendant la crise, sont moins bien prises en charge, en partie par une sorte d’autocensure des patients. On peut aussi craindre, soulignent des psychologues, les dépressions consécutives à l’éprouvante expérience du confinement. Mais ce n’est pas tout. L’immense catastrophe économique qui s’annonce aura des répercussions désastreuses sur la société. Même si le plan d’aide mis en place par le gouvernement est à la hauteur de la situation, il ne suffira pas à éviter les faillites et l’augmentation du chômage. L’attrition prévisible de l’activité ne pourra pas éviter un effet pauvreté qui touchera d’abord les catégories les plus modestes, précaires, petits artisans et commerçants qui ne faisaient déjà pas partie des «insiders» du marché de l’emploi. Ce sont d’ailleurs aussi les enfants les plus modestes qui sont d’abord touchés par le décrochage scolaire entraîné par la fermeture des écoles: ils n’ont souvent pas la chance d’avoir des parents attentifs et disponibles pour les accompagner, et n’ont pas l’autonomie pour suivre seul la discipline exigeante du télé-enseignement.

«Quoiqu’il en coûte», a dit le président de la République. C’est évidemment vrai si l’on parle seulement d’argent. Mais le coût du confinement actuel fait également des dégâts en vies humaines qu’il est difficile de quantifier, mais qui peuvent être considérables si nous nous enfonçons dans une crise économique durable.

Nous savons qu’il est illusoire d’imaginer faire disparaître le virus de nos vies avant un ou deux ans. Nous ne devons peut-être pas atteindre de vaccin avant 12 mois au mieux, et les traitements efficaces restent inconnus. En l’absence de bonnes surprises sur lesquelles il serait déraisonnable de compter, nos meilleurs espoirs résident dans l’atteinte de l’immunité collective, mais elle exigerait qu’environ 60% de la population ait été touchée, ce qui prendra du temps. Un mois et demi de confinement sera un choc immense. Trois mois serait une ruine profonde. Six mois mettraient à bas toutes nos institutions, nous précipitant dans un inconnu politique qui ne serait guère enthousiasmant (quand le pouvoir est à terre, on ne sait jamais qui le ramasse…).

Alors que doit-on faire? Nous devons remettre la France au travail, et relancer autant que possible la consommation. D’autres pays, comme l’Autriche, ont pris cette voie. L’Espagne a annoncé que le confinement allait être assoupli pour permettre à certains secteurs, comme la construction, de redémarrer. Nous devons transformer notre économie pour lui permettre de fonctionner tout en protégeant les individus. L’urgence absolue est aujourd’hui de concevoir les nouvelles normes de travail, de conditions d’hygiène, de distance sociale qui pourront permettre cette reprise en évitant de nouveaux pics de contagion. Cela implique bien sûr des masques pour tous, des tests massifs assortis de technologie de traçage des cas, mais aussi de repenser la façon dont nos transports fonctionnent et dont les entreprises travaillent. Les restaurants qui le peuvent pourraient rouvrir avec des distances suffisantes et en respectant des normes sanitaires nouvelles. Pourquoi ne pas imaginer que des salles de spectacle ne pourraient pas aussi, en réduisant drastiquement le nombre de spectateurs, reprendre des formes d’activité? Les nouveaux dispositifs doivent être souples, validés par des comités scientifiques, et très rapidement mis en œuvre. Ce n’est simple ni politiquement ni en pratique, mais il est nécessaire de prendre en compte le coût humain direct et indirect d’un confinement trop prolongé.

«Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus» aurait dit le roi Pyrrhus. S’il est une chose que nous devons retenir de la crise sanitaire actuelle, c’est qu’elle pourra hélas se reproduire à tout moment. Il est essentiel que la victoire que nous allons remporter ne nous fasse pas pavoiser un champ de ruines.


Publié dans le Figaro

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Olivier Babeau

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Président fondateur de l'Institut Sapiens. Professeur à l'Université de Bordeaux, chroniqueur et essayiste, il a cofondé en décembre 2017 la 1ère Think Tech française.