Le bitcoin est mort … vive le protocole Bitcoin !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

« Ce qui est intéressant, ce n’est pas le bitcoin mais la technologie derrière lui : la blockchain ». Cette affirmation à la mode est trompeuse, et l’actuelle correction sur les cours des cryptomonnaies ne la rend pas plus pertinente.

Ce que nous appelons aujourd’hui « blockchain » n’est pas révolutionnaire. C’est un procédé datant des années 1990, inspiré du système de certification chaînée des chercheurs Stuart Haber and W. Scott Stornetta. Ce n’est que l’une des technologies intégrées par le génial et toujours anonyme Satoshi Nakamoto pour former le protocole Bitcoin (avec un B majuscule, pour le distinguer du jeton numérique et monétaire « bitcoin »). Ce qui explique que son dispositif ne cesse de se renforcer, neuf ans après sa création, alors qu’on annonce chaque jour sa mort imminente, c’est qu’il réalise une prouesse longtemps recherchée : permettre des transferts d’objets numériques uniques sans tiers de confiance et sans risque de censure.

La première application de cette invention est naturellement la monnaie. Contrairement à l’impression initiale qu’elle peut donner, cette nouvelle forme de monnaie ne repose d’ailleurs pas sur « rien » mais sur des actifs bien concrets. Tout d’abord, un solide protocole informatique qui fait fonctionner le réseau et assure une sécurisation extrême des transactions, grâce notamment à une importante consommation d’énergie. Deuxièmement, un écosystème industriel mondial en plein essor, constitué de nombreuses entreprises qui représentent des emplois et des investissements. Troisièmement, une vaste communauté humaine d’utilisateurs, développeurs informatiques, cryptographes, entrepreneurs et investisseurs, souvent motivés par la dimension culturelle et philosophique de ce projet et non seulement par l’appât du gain.

Inspirées de Bitcoin, mais avec des paramètres différents, les cryptomonnaies se multiplient. Les marges de manœuvre des pouvoirs publics sont assez réduites. Il serait temps de commencer à réfléchir aux causes et aux conséquences de cet essor. Quel est le bilan du monopole de l’émission monétaire par la puissance publique ? Quelle est la réalité et la signification des liens entre les Etats et les banques ? Quelles sont les conséquences de la révolution crypto-monétaire en termes de politiques monétaires et de financement des Etats-Providence ?

On ne supprimera pas les cryptomonnaies, pas plus qu’on ne peut faire rentrer le dentifrice dans le tube, pour reprendre l’expression d’un ancien banquier central allemand à propos de l’inflation. Bien sûr, beaucoup sont des arnaques purement spéculatives, et certaines posent des défis considérables s’agissant de financement d’activités illégales. Mais il est également nécessaire de réfléchir aux bienfaits des cryptomonnaies : meilleure protection de la vie privée, particulièrement dans les régimes autoritaires ; diminution des coûts de virements internationaux pour les populations démunies ; surtout, révolution technique en matière de paiements : les progrès en cours permettent, par exemple, d’entrevoir des transactions portant sur des montants microscopiques et sur des échelles de temps infimes, créant une forme de monnaie en « streaming », avec des applications dans tous les domaines, notamment celui des objets connectés.

Enfin, la monnaie devient programmable, et c’est là le secret de ce que l’on appelle vaguement la « technologie blockchain ». Les jetons numériques créés pour faire fonctionner les centaines de projets actuels d’applications décentralisées (dApp), et servant souvent pour des levées de fonds d’un nouveaux genre (les ICO, initial coins offerings), sont très liquides et échangeables facilement : ce sont donc de facto des cryptomonnaies, même s’ils ne sont pas toujours conçus pour cela. Le fondateur d’Ethereum, la deuxième plus importante blockchain après Bitcoin, a toujours pris soin de préciser que son jeton, l’Ether, n’était pas conçu pour être une monnaie. Ces dispositifs permettent même de concevoir un nouveau type d’organisation, sans autorité centrale ni assise nationale, les decentralized autonomous organizations (DAO). Ces objets juridiques totalement nouveaux sont encore expérimentaux mais ils ouvrent des perspectives vertigineuses en termes de systèmes juridiques et d’institutions politiques. Là encore, il est indispensable d’organiser une réflexion apaisée et informée, loin des caricatures et des préjugés.

Nul ne sait si le bitcoin survivra. En revanche, le type de protocole sur lequel il se fonde est une révolution majeure. Si le bitcoin disparaît, Bitcoin ne manquera pas de successeurs. Il ouvre une nouvelle ère, celle des cryptomonnaies, dont nous n’imaginons pas encore toutes les conséquences. En faisant du bitcoin un tabou et de la blockchain un totem, on se trompe. Osons une hypothèse : et si les bienfaits de l’essor des cryptomonnaies était infiniment supérieurs à leurs inconvénients ? Explorer cette hypothèse devrait être une priorité, avant toute proposition de nouvelle régulation.


Publié dans les Echos

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