La recherche médicale, terrain d’étude d’une société en temps de crise sanitaire

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

author-avatar

Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

Vincent Diebolt

Il est prématuré de prétendre « tirer les leçons » de la crise sanitaire que traverse notre société.  On peut toutefois s’autoriser à analyser de manière aussi distanciée et objective que possible, la façon dont la société française a réagi en choisissant pour terrain sociologique et comportemental d’observation, un domaine aujourd’hui sous les feux de l’actualité, celui des essais cliniques. Dans un climat anxiogène attisé par les médias et les réseaux sociaux, chacun d’entre nous guette leurs résultats, attend avec une impatience grandissante l’annonce du traitement « miracle » qui relèguera le COVID 19 dans la catégorie des maladies banales, celles dont on guérit.

Une sorte de « Grand soir », d’avant/après et de retour à l’insouciance des jours heureux.

Cette impatience est en décalage avec l’esprit et les méthodes mêmes de la recherche médicale, une démarche faite de tâtonnements, d’hypothèses confirmées ou non, de déductions validées ou erronées, de paris parfois gagnés ou perdus, ou, dit en terme savant de « sérendipité », le hasard heureux ayant son importance. La recherche médicale est une science qui n’est exacte qu’en bout de chaine après analyse et confrontation des faits. Dans tout essai, clinique ou non, il y a une part de probabilité, d’échec et donc de déception.

Recherche ne rime pas avec « trouver » ou en tout cas pas toujours et pas vite …

En périodes troublées, l’incertitude scientifique ambiante conduit des populations déboussolées à rechercher l’homme providentiel. L’argument d’autorité prenant le pas sur la recherche basée sur les faits et seulement les faits, ce que l’on appelle l’« evidence based medicine ». L’histoire devrait pourtant nous amener à être prudents. Les précédents  existent. Il suffit pour cela de se reporter aux débuts de l’épidémie du SIDA en octobre 1985 lorsque sont annoncés avec force solennité et avec la caution du ministère de la Santé les résultats positifs étonnants de l’expérimentation de la cyclosporine. Des résultats non confirmés ultérieurement qui avaient été produits par un essai « pirate » mené par trois médecins parisiens. Ils s’étaient affranchis des règles élémentaires de validation scientifique préalable, de l’avis des autorités compétences, et sans recueillir le consentement éclairé des patients.

Le traitement ou plus probablement les traitements du COVID 19 viendront, c’est certain. Mais pour y parvenir les chemins sont sinueux et multiples et la recherche médicale doit être considérée et acceptée dans sa complexité.

Dans le cas du COVID 19, de quoi parle-t-on en effet ?

  • D’un traitement préventif pour une population non contaminée ? D’un traitement lorsque surviennent l’apparition des premiers symptômes ou, plus tardif, lorsque l’état s’aggrave et que se déclenche la « cascade inflammatoire », l’«orage de cytokines» à l’issue fatale ? Le traitement unique n’existe pas.
  • Un traitement pour quelle population d’ailleurs ? Enfants ? Adultes ? Senior ? Les métabolismes sont différents.
  • Un traitement à quelle dose ? Sous quelle forme ?
  • Quel sera notre niveau de connaissance … et d’acceptabilité des effets secondaires ?

Dans l’intervalle bien entendu, au vu de l’état de la science, rien n’interdit au corps médical, l’usage à titre compassionnel de traitements expérimentaux …

On l’a compris, dans ces temps tourmentés, la recherche médicale est soumise à une double pression, celle d’aller vite et d’aboutir à des résultats. Si comme on l’a vu cela ne se décrète pas, cela se prépare et cela se favorise, ce qui implique la définition d’une stratégie, la mise en place d’une organisation, le tout étant à la charge d’un pilote qui ne peut être que l’Etat. Au-delà de ses missions régaliennes, celles qui préservent et ne faussent pas, sauf pour réguler leurs excès, le libre jeu des acteurs économiques, il a la responsabilité en périodes « non ordinaires »  d’amortisseur social, de protection sanitaire et économique.

En recherche médicale, face à une crise épidémique non contrôlée, c’est à lui qu’il revient d’impulser une dynamique et de catalyser les initiatives, avec trois mots d’ordre :

  • Réactivité
  • Financement dédié
  • Assouplissement des contraintes

Force est de constater que dans la situation actuelle l’Etat a été au rendez-vous. Début mars, c’est-à-dire au début de l’épidémie en France, l’ANR lance un « appel Flash Covid-19 », un appel à projets avec un processus accéléré d’évaluation et de sélection. 270 projets lui sont soumis. La BPI lui emboite le pas et propose, avec une date de dépôt à fin mars, le soutien de « projets collaboratifs de recherche et développement structurants visant le développement de solutions thérapeutiques à visée préventive ou curative contre le COVID-19 » d’un montant de programme compris entre 4 et 50 millions d’euros.  A ce jour près de 20 appels à projets, dont plusieurs par des GIRCI, regroupement inter-régionaux en recherche et innovation, ont été lancés.

Alors que les délais d’autorisation réglementaire des essais cliniques sont en règle générale, hors « fast track », de plusieurs semaines, l’ANSM, agence de sécurité sanitaire, a adapté ses procédures d’examen et, pour les essais cliniques en relation avec le COVID 19, les délivre en quelques jours. 78 essais cliniques dont 50 en cours de recrutement ont été autorisés, ce qui positionne la France parmi les pays les plus actifs.

Malgré la difficulté de réaliser des essais cliniques de grande échelle en médecine générale compte tenu de l’émiettement de son exercice (sur les 226 000 médecins en activité au 1er janvier 2018, 102 000 étaient diplômés de médecine générale dont un peu plus de 50 000 exercent en ambulatoire), des initiatives sont envisagées avec le CNGE, Collège national des généralistes enseignants.

A situation extraordinaire, moyens et procédures extraordinaires.

Les situations de crise bouleversent la hiérarchie des besoins élémentaires identifiés par la pyramide de Maslow. Le besoin de sécurité prend le pas sur la quête de liberté, comme le démontre aujourd’hui l’acceptation et le respect d’une période prolongée de confinement d’une population, celle de « gaulois réfractaires », pourtant réputée indocile. Besoin de sécurité ressentie par la population, besoin d’être rassuré par des résultats encourageants en recherche médicale, rapidement disponibles, ce qui, on l’a vu n’est pas compatible avec une démarche scientifique.

Le rôle de l’Etat est de faire en sorte, en mobilisant les forces, d’essayer de faire se rapprocher les espaces-temps. Comme l’a dit Dolly Parton: “We cannot direct the wind, but we can adjust the sails”.

 

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

author-avatar

Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.