La lutte contre la robotisation est un combat perdu, donc inutile

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Pour satisfaire à l’interdiction du travail dominical, l’hypermarché Casino d’Angers a remplacé ce jour-là les employés par des machines et réduit le personnel à des prestataires extérieurs de sécurité. La première ouverture du magasin a été l’occasion de violentes manifestations et de véhémentes protestations syndicales. Un épisode révélateur de notre vision avant tout conflictuelle des rapports des salariés avec la technologie et les consommateurs. Il est urgent de la changer.

Beaucoup considèrent, à tort, que le travail est une sorte de gâteau à partager. Dès lors, dans le jeu à somme nulle du besoin en main d’œuvre, une machine en plus serait nécessairement une place en moins pour l’humain. C’est évidemment méconnaître le principe schumpétérien de la destruction créatrice qui insiste sur l’apparition de nouveaux besoins et d’emplois à mesure que d’autres sont satisfaits et automatisés. La lutte contre cette évolution est vaine. Marx lui-même écrivait : « La technologie reste toujours plus forte que les technostructures juridiques et politiques ». Aucun emploi pouvant intégralement être remplacé à moindre coût par la machine ne sera épargné. Mieux : toutes les contraintes réglementaires et fiscales accélèrent inéluctablement le recours à la mécanisation. Un moratoire sur le progrès technologique n’est pas crédible à long terme : aurions-nous dû interdire l’eau courante pour préserver le métier de porteur d’eau ?

Une seconde idée fausse transparaît dans les réactions à l’ouverture de l’hypermarché : l’opposition entre les intérêts du travailleur et ceux du consommateur. Concentrés sur la préservation des postes, on perd de vue l’élément central : la valeur ajoutée du travail, conséquence directe de la réponse à un besoin. Penser en termes d’emplois à sauver, c’est ne pas voir que parfois la valeur ajoutée d’un poste disparaît, alors que d’autres besoins naissent. C’est aussi une pente dangereuse qui finit par ignorer les demandes réelles et accumuler les insatisfactions. Bien des acteurs en monopole, comme les taxis en leur temps, avaient fait les frais de cet aveuglement qui nourrit de nouveaux concurrents. Les innovations technologiques permettent d’améliorer la qualité de service — qui regrettera les files d’attentes au supermarché ? — et d’orienter le personnel vers des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme le conseil au client par exemple.

Dans Lettres à nos petites enfants écrit en 1931, Keynes avait théorisé ce qu’il appelait la « nouvelle maladie des sociétés développées » qu’est le chômage technologique, causé par l’inadaptation entre progrès technologiques et compétences des travailleurs. La solution n’est que trop connue : anticipation des futurs besoins en compétences et formation. Les réactions des syndicats et des responsables publics reviennent trop souvent à faire du salarié un être passif à qui l’on promet stabilité et protection. Ne le protégeons plus, armons-le. Il est lâche et irresponsable de continuer à faire miroiter, comme le font souvent les responsables politiques qui viennent au chevet d’emplois menacés, une possible préservation des postes que l’on sait condamnés. Si les employeurs peuvent être coupables de quelque chose, ce n’est pas d’intégrer des technologies mais de ne pas avoir aidé leurs salariés à anticiper cette évolution. Un responsable syndicaliste interviewée disait être inquiète de l’utilisation possible de robots aux autres jours de la semaine. C’est pourtant exactement ce qui va se passer, l’avenir étant sans doute à une distribution sans caisse du tout, comme dans le magasin Amazon Go qui a ouvert à New York. Et c’est une excellente nouvelle. D’autres images saisissantes faisaient le tour des réseaux sociaux récemment : celles d’un robot nettoyant parfaitement des toilettes publiques à New York. On voit mal comment regretter la disparition des emplois pénibles qui permettent d’affecter les salariés à d’autres tâches.

Un barrage contre le Pacifique est le titre d’un roman de Marguerite Duras publié en 1950. C’est aussi l’image qui peut venir à l’esprit face aux protestations contre l’automatisation du travail et les évolutions des modes de consommation. Filons la métaphore : il serait temps de cesser d’épuiser notre énergie à lutter contre la marée montante. Employons-la plutôt à construire le plus de bateaux possibles.


Publié dans les Echos

AUTEUR DE LA PUBLICATION