Gilets jaunes: SOS d’un pays en détresse.

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Le 17 novembre sera-t-il un nouvel épisode de ces révoltes fiscales et frumentaires dont notre histoire offre hélas tant d’exemples au cours des siècles ? Quel que soit le succès de la journée, elle aura mis une fois de plus en lumière trois grandes maladies françaises.

D’abord, la confirmation s’il en était besoin que Bercy a pris le pouvoir sur la politique française. Dans leur remarquable livre The Elephant in the Brain, Hanson et Simler montrent comment la conscience est le simple « porte-parole » des décisions inconscientes : à l’image du porte-parole en politique, elle est chargée de justifier coûte que coûte des décisions qu’elle ne maîtrise pas, fusse au prix de la plus évidente mauvaise foi. Le gouvernement est devenu le porte-parole de Bercy. Les justifications autour de l’idée que le surcoût à la pompe est le prix à payer pour « sauver la planète » (rien de moins) ont été contredites par l’exhortation aux pétroliers de répercuter au plus vite la baisse du prix du pétrole. Il est devenu tout à fait clair que derrière la taxe incitative se cache un très classique objectif de rendement fiscal.

Ce dernier est en réalité érigé en ultima ratio des politiques, les discours n’étant que des rationalisations a posteriori de décisions dictées par le seul problème qui obsède l’Etat : remplir des caisses que des dépenses incontrôlées ne cessent de vider. Si demain tout le monde arrêtait de prendre sa voiture, on ne manquerait pas d’entendre des représentants de l’Etat annoncer que le « manque à gagner » (comme si le prélèvement était une sorte de chiffre d’affaires sur l’exploitation du peuple) nécessite de nouvelles taxes pour compenser le trou dans le budget. C’est bien la dépense qui mène la politique de la France et non le contraire.

Ce gilet jaune est aussi le signal de détresse d’un pays qui a besoin de remettre l’administration à sa place ancillaire, de changer ses logiques décisionnelles

Emballement technocratique. Deuxième maladie française : l’emballement technocratique. Comme l’avait montré le regretté Michel Crozier, les logiques d’action bureaucratiques conduisent à une accumulation de la complication administrative. Partant d’une taxe censément incitative, le gouvernement profite de la grogne pour ajouter des niches, des mécanismes d’allégement, des chèques en tous genres. Avec naturellement à la clé un édifice de seuils, conditions de ressources, calculs échappant au commun des mortels. Pour les créer et les distribuer, pour en contrôler l’usage, des bataillons de fonctionnaires seront mobilisés. Une fois encore, le principe terrible mis en lumière par l’économiste du choix public Niskanen selon lequel un fonctionnaire a tendance à en produire d’autres se trouve vérifié.

Troisième maladie : l’envie. Bien loin de suggérer une simple baisse des impôts et taxes, la représentante du mouvement du 17 novembre propose comme solution de… rétablir l’ISF. Aveuglés par l’étatisme, les Français ont été dressés à reporter sur les moins pauvres qu’eux la colère née des souffrances de la spoliation. Exactement comme un prisonnier qui dénoncerait à ses geôliers ceux de ses camarades qui échappent au fouet.

La manifestation spontanée du 17 novembre est certes le soulèvement de gens qui sentent bien, au-delà du très subtil jeu de bonneteau fiscal qui cherche à le cacher, que la pression des prélèvements ne cesse de s’accroître. Ce gilet jaune est aussi le signal de détresse d’un pays qui a besoin de remettre l’administration à sa place ancillaire, de changer ses logiques décisionnelles et de prendre conscience des raisons profondes des dérives de la machine publique.


Publié dans l’Opinion 

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