Fascisme progressiste

AUTEUR DE LA PUBLICATION

C’est entendu, on emploie trop, et de travers, le terme de fascisme. Mais il semble difficile de qualifier autrement cette violence verbale et physique qui monte pour harceler ceux qui n’acceptent pas immédiatement et sans condition les dogmes de la religion progressiste.

Dans son livre Liberal fascism, Andy Brown dénonce avec force l’étonnant renversement par lequel un courant de pensée né d’une opposition à des dogmes conservateurs en est venu à incarner une forme nouvelle d’orthodoxie. Ce fascisme progressiste qui monte a trois caractéristiques qui le font furieusement ressembler à n’importe quelle idéologie conservatrice.

D’abord, la domination de la majorité se trouve en pratique subvertie par des minorités agissantes particulièrement bien organisées. Elles bénéficient de la caisse de résonnance offerte par des médias incroyablement complaisants. Les pires inepties s’y profèrent dans le silence le plus respectueux. Une poignée d’activistes parisiano-centrés peuvent tranquillement y faire progresser leur agenda.

Seconde caractéristique : la réduction du monde à une opposition binaire entre victimes et coupables. Sexe, origines ethniques, préférences sexuelles, états d’âmes en tous genres… la liste des prétendants au statut de victime ne cesse de s’allonger. Pas étonnant. Toute personne qui parvient à s’élever à cette si enviable dignité de victime patentée peut à volonté créer son propre cercle d’exclusion, pratiquer activement ce qu’elle reproche aux autres, au nom même de l’exclusion dont elle est censé avoir souffert (hier ou il y a deux siècles).

Sale temps pour le mâle « cis-genre non racisé », comprenez l’hétérosexuel blanc. Il est sommé d’expier à tout jamais pour ses péchés et ceux de ses ancêtres

Droit de piétinement. C’est ainsi que fleurissent les stupéfiantes réunions en « non mixité », les groupuscules revendiquant divers droits de tirage et de piétinement de ceux qui sont, pour l’éternité, les coupables. Furieux d’être mis dans des cases, ils passent leur temps à en créer de nouvelles catégories. Sale temps pour le mâle « cis-genre non racisé », comprenez l’hétérosexuel blanc. Il est sommé d’expier à tout jamais pour ses péchés et ceux de ses ancêtres.

La fausse tolérance est le troisième trait frappant. En pratique, la tolérance affichée est devenue une sorte d’antiphrase, comme le ministère de la Vérité dans 1984 ou la démocratie en Chine : il n’est plus imaginable d’émettre un discours contraire à la doxa. Toute remise en cause est immédiatement disqualifiée. Douter, c’est s’opposer. Questionner, c’est critiquer. La religion progressiste ne supporte pas plus la controverse qu’hier la religion chrétienne.

Après avoir été d’utiles mises au point réaffirmant la liberté des individus de s’affranchir de cadres imposés, les discours progressistes sont peu à peu devenus un arsenal hargneux prétendant interdire tout discours alternatif. La police de la pensée prétend tout régenter, réécrire l’histoire, réduire au silence les faits gênants. Car la réalité est sommée de se plier à l’hégémonie de la morale du moment. La science est priée de collaborer, confirmer, ou se taire. L’orthographe, bien sûr, doit aussi subir les pires outrages pour devenir inclusive, quitte à mettre le discours en charpie.

Le libéralisme classique est aux antipodes de ce progressisme dévoyé. Il est urgent de réaffirmer les valeurs d’une égalité fondée sur l’indistinction (et non sur l’hyper-distinction), d’une tolérance fondée sur l’accueil pacifique des désaccords, d’une liberté enfin fondée sur la possibilité de vivre selon ses convictions, pourvu qu’on s’engage à respecter celles des autres.

 


Publié dans l’Opinion

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