Famille, je vous hais

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Le gouvernement, par le truchement de son porte-parole, a annoncé vouloir se pencher sur les droits de succession dans une « réflexion sans tabou ». Le lecteur optimiste aurait pu penser qu’il s’agirait d’enfin mettre un terme à cette spoliation légale qui, au-delà des 100 000 euros d’abattement, prélève sur les héritages 40% en ligne directe et jusqu’à 60% en ligne indirecte. Que nenni : l’idée est au contraire de les alourdir, pour « lutter contre la progression des inégalités de naissance ». Le démenti rapidement apporté par Emmanuel Macron ne peut cacher qu’un tel projet est bel et bien présent dans l’esprit de beaucoup de nos dirigeants. Il n’est pas seulement l’ultime avatar du grattage frénétique de fonds de tiroir qui conduit la puissance publique à saisir avec empressement, et au moyen des plus mauvais prétextes, le moindre sou qui pourrait traîner dans la poche du contribuable (à l’image de l’augmentation des impôts fonciers ou du maintien de l’exit tax). Il s’agit de la manifestation très claire d’un dessein qui se traduit depuis des décennies par un travail méthodique de sape de toutes les formes de transmission.

La vulgate bourdieusienne stigmatise l’héritage, sous toutes ses formes, comme machine à reproduire les structures de domination. La conséquence est imparable : abolir la transmission, ce serait dans l’esprit de certains idéologues, la meilleure (et la seule) façon d’ouvrir la voie du paradis égalitaire. C’est surtout, hélas, promouvoir une société inhumaine où la collectivisation des existences  écrase le désir tout simple de se prolonger dans sa descendance. Attaquer la transmission, ce n’est pas seulement piétiner le droit de propriété sur les biens gagnés de haute lutte après tant de prélèvements, c’est plus fondamentalement attenter à l’élan le plus naturel de l’individu.

Comme l’écrit Spinoza dans son Ethique, « toute chose s’efforce de persévérer dans son être ». C’est ce conatus dirigé vers nos proches ou « effort », qui anime au fond tant d’entre nous. Nos enfants ne sont pas des êtres interchangeables que la société pourrait, comme chez les Spartiates, considérer comme des sortes de propriétés collectives. Ils sont une part de nous-mêmes, uniques et plus précieux que notre propre vie. C’est à eux que nous dédions nos efforts, c’est pour eux que nous consentons tant de sacrifices. Ne pas le reconnaître, c’est promouvoir un individualisme triste, asséché de tout lien et artificiellement mué en égoïsme. La taxation de la transmission du patrimoine économique n’est jamais que l’ultime volet d’une destruction volontaire et assumée des autres formes de transmission, ô combien plus essentielles, qui a été mise en œuvre : celles des capitaux sociaux et culturels. L’idéal de l’homme égalitaire : un être sans attache ni racine, sans référence ni descendance à laquelle il tienne. Son grand avantage ? L’individu reste ainsi isolé face à l’Etat, le seul véritable parent.

L’Etat ne veut de la solidarité que lorsqu’elle correspond aux canons de la bien-pensance progressiste : indifférenciée, militante, orientée à notre corps défendant par des minorités actives à l’agenda particulier, indépendante de nos affects réels, et surtout orchestrée et contrôlée par la technostructure. C’est le vrai sens de cette chasse à la « réduction des inégalités des naissances ». Nous savons très bien que la seule façon d’en finir vraiment avec ces inégalités serait la collectivisation des existences, et donc l’euthanasie de la famille. Le dessein n’est pas seulement fiscal : il est civilisationnel.

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