Du suicide des anciens à celui des modernes

AUTEUR DE LA PUBLICATION

 

La conviction que la fin du monde est proche et que l’humanité en est responsable gagne du terrain. En quelques mois, l’idée que nous ne sommes pas la solution — les maîtres d’une nature dont il faudrait contrôler les rigueurs — mais le problème s’est imposé comme une évidence. La conséquence malheureusement assez logique est la floraison de discours invitant à notre disparition rapide. Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement, invite ainsi à « renverser la logique des allocations familiales » pour supprimer toute aide à partir du troisième enfant. « Ne pas faire d’enfant supplémentaire, déclare-t-il, c’est le premier geste écologique ». Cela permettrait, poursuit l’ineffable vert, de « mieux accueillir les migrants ». Des jeunes se stérilisent pour éviter l’immonde forfait de la reproduction. D’autres vont plus loin en suggérant que mettre fin à ses jours serait au fond la vraie solution écologique.

Depuis 1897, année de la publication de l’ouvrage fameux de Durkheim, on sait que le suicide n’est pas qu’une décision individuelle : il peut aussi se comprendre comme un fait social. La régularité statistique de ces actes, leur inégale répartition aussi selon les situations, montre que le contexte dans lequel il intervient a une importance. Cela permet au fondateur de la sociologie de proposer une typologie, parmi laquelle il décrit le « suicide altruiste ». Dans ce cas particulier, les individus considèrent qu’ils ne s’appartiennent plus et peuvent en venir à se tuer par devoir.

Geste citoyen. On peut craindre une recrudescence de ce type d’acte, sous la pression d’un bruit médiatique qui ne cesse d’attiser le malaise climatique. Dans ce contexte idéologique entretenu de façon étonnamment complaisante par de nombreux médias, se supprimer soi-même n’apparaît pas seulement comme une façon d’anticiper l’inévitable effondrement, c’est aussi une nouvelle et terrifiante sorte de « geste citoyen ».

Cette conception du suicide comme service rendu à l’environnement, dont la non-reproduction n’est après tout qu’une forme particulière, est l’exacte opposée de celle qui prévalait dans l’antiquité. Dans ses Lettres à Lucilius, Sénèque souligne combien l’idée du suicide lui paraît douce, non pas parce qu’il est réjouissant ou avantageux de mourir, mais parce qu’elle l’aide à vivre : « Bien mourir, c’est nous soustraire au danger de mal vivre ». La possibilité d’avoir à tout moment une porte de sortie fait partie de la dignité de l’individu, constitue son pouvoir ultime face aux contraintes du monde.

Et en effet, Sénèque emprunta cette porte pour échapper à l’ire de son ancien élève Néron… Le suicide vu selon cette conception antique grandit l’existence humaine. Désormais, c’est un suicide de honte qui est proposé. Le déclinisme est dépassé, mais il ne laisse pas pour autant place à une quelconque croyance dans le progrès. Au contraire. Place à « l’effondrisme ». Il ne s’agit plus de regretter le recul de la civilisation, mais de s’en réjouir. Cette dernière apparaît comme un accident de l’histoire, une erreur qu’il serait bon d’effacer au plus vite.

Comprenons-le, l’écologisme, qui est à l’écologie scientifique ce que l’astrologie est à l’astronomie, est fondamentalement un anti-humanisme. Pas étonnant qu’il ne cesse d’appeler à la fin du libéralisme, qui est par essence un humanisme. Il serait temps que nous questionnions la façon très particulière, dramatique et pleine d’arrière-pensées politiques, dont sont appréhendés les défis liés à la préservation de l’environnement.


Publié dans l’Opinion

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