Domiciliation fiscale des grands patrons : attention danger

AUTEUR DE LA PUBLICATION

 

Incompétence ou effet de l’idéologie ? De l’imposition des loyers fictifs à la taxe sur l’excédent brut d’exploitation, la France a le secret des propositions qui sont des succès médiatiques mais qui se révéleraient catastrophiques une fois mises en place. L’obligation, dans le projet de loi de finances 2020, de domiciliation fiscale française des dirigeants des entreprises réalisant plus de 250 millions de chiffre d’affaires ayant leur siège dans l’Hexagone en fait hélas partie.

Au départ, une idée apparemment simple et frappée au coin du bon sens : imposer dans notre pays ceux dont l’activité se situe en France. A l’arrivée : une bombe à déflagration économique. Car la notion de « dirigeants » adoptée va plus loin que les seuls PDG et directeurs généraux. Elle inclut des mandataires sociaux n’ayant qu’un lien faible avec la France. Soit parce qu’ils ont un rôle non exécutif, comme un président de conseil d’administration, et peuvent avoir leur activité principale hors de France. Soit parce que leur rôle exécutif correspond à une responsabilité en dehors de France, comme un responsable de marchés étrangers membre d’un directoire.

En l’absence de convention fiscale avec son pays d’origine, un mandataire social qui ne passe que quelques jours par an en France ou dont l’activité en tant que mandataire est une partie infime de ses revenus sera supposé être résident français. Il sera taxé en France sur l’ensemble de ses revenus dans le monde.

« No-go zone »

Dans le cas où une convention fiscale existe avec le pays du mandataire social, la mesure projetée aura pour effet de soumettre la personne à une enquête approfondie du fisc français qui ne laisserait inviolé aucun des aspects de sa vie, y compris les plus personnels. Même dans ce cas, certains points non couverts par la convention pourront faire basculer le mandataire dans le régime français. Une personne vivant ainsi à l’autre bout du monde et n’ayant avec notre pays que des liens très occasionnels pourra se trouver théoriquement redevable de droits de succession en France sur l’ensemble de son patrimoine !

La conséquence sera évidente : un exode des mandataires sociaux étrangers des entreprises concernées. Autrement dit, une perte de compétence pouvant handicaper les prises de décisions stratégiques, et aussi une perte de connexion avec le milieu des affaires mondial. Le vivier de ces dirigeants de haut niveau comprend des personnes à l’expérience rare exerçant de nombreuses activités à travers le globe, et dont la valeur réside précisément dans cette richesse d’activités. Vouloir les enchaîner à la France, c’est faire de notre pays une « no-go zone » pour les affaires.

Pour éviter ces démissions massives, de très nombreux groupes n’auraient pas d’autre possibilité que de partir eux-mêmes hors de France, accélérant la préoccupante hémorragie de nos sièges sociaux et barrant certainement la voie à de nouvelles installations. Ce ne sont donc pas seulement les talents étrangers qui seraient perdus, mais aussi des talents français qui iraient créer ailleurs de la valeur économique dont nous avons tant besoin.

Enfer fiscal

Comment les services de l’administration peuvent-ils ne pas pressentir les dégâts de leur projet ? Les esprits malicieux pourront supposer que des énarques en mal de points de chute dans des entreprises publiques devenues trop rares ne verraient pas d’un mauvais oeil la mise hors-jeu de concurrents gênants…

Derrière une mesure apparemment technique, il y a là une menace majeure pour notre économie. Le simplisme d’une chasse à de supposées fraudes cache l’édification d’un cercle de plus dans notre enfer fiscal. Plutôt que de chercher à retenir par la contrainte les talents, la France serait plus inspirée d’essayer de se demander comment mieux les attirer.


Chronique publiée dans le Figaro

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