Avec sa règle, Gabor nous a jeté un sort !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Dennis Gabor (1900-1979), ingénieur et physicien d’origine hongroise est l’inventeur de l’holographie (Nobel de physique en 1971). On lui attribue la citation suivante : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable. »

Partant de ce principe, l’innovation n’attend personne. Dès qu’une découverte est faite, qu’elle peut basculer dans le domaine commercial, alors elle apparaît dans le paysage. Mais qu’est-ce qui est nouveau, en fait ? Par exemple, en ce qui concerne les « big datas », ces grosses masses de données, ce qui est nouveau, c’est justement qu’il y a beaucoup de données. Là, j’ai enfoncé (je l’espère du moins) une porte ouverte. À partir du moment où l’on a dit ça, on a trouvé le foyer de concentration des développements qui concernent ce secteur : on porte une moindre attention à la donnée elle-même qu’à la quantité. Si demain, je trouve un moyen de collecter énormément d’informations sur les métrages de papier-toilette, je lancerai mon application. Je ne sais pas encore ce que je ferai de toutes ces données, mais je trouverai bien (au passage, aujourd’hui, en Chine, les toilettes publiques délivrent plus ou moins de papier toilette grâce à un logiciel de reconnaissance faciale… Oui, on est comme ça en Chine !)

« Tout ce qui est techniquement possible« . Le possible, c’est ce que l’on a donc le droit de faire. Pour les GAFAM/BATX, à ce niveau, on est un peu dans le « no limit ». La seule limite est la règle des autres, des états, des politiques. Il ne faut pas se leurrer, ces entreprises ont un problème : l’état qui définit les règles. Dans la phrase de Gabor, l’état est représenté par le verbe « devoir ». Les GAFA doivent réaliser leurs avancées techniques et l’état tend à les en empêcher. Le système gouvernemental est un ennemi de la Big Data.

La première phase de contact entre ces deux mondes (industriel et politique) a consisté en une lutte sans merci. Peter Thiel (PayPal) déclarait en 2009 qu’une « course à mort » était engagée « entre la technologie et le politique ». En 2013, Balaji Srinivasan (spécialiste du Bitcoin) expliquait que les États-Unis étaient un géant sur le déclin bientôt balayé par l’Histoire.

Dans un deuxième temps, celui qui nous occupe aujourd’hui, les dirigeants de ces entreprises colossales sont plus subtils. En 2014, Larry Page balance : « Il y a beaucoup de choses à faire (…) mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales ». Il n’y a qu’un pas pour penser la suite : « rendons-les légales ». Prendre le pouvoir plutôt que le détruire, voilà la solution. En 2017, Zuckerberg a bouclé un tour d’une trentaine d’états américains pour rencontrer le peuple et présenter sa fondation et ses convictions politiques.

Droit des minorités, fiscalité, gouvernance, écologie ou éducation : tout y est passé. Un comité de soutien a même été créé pour soutenir sa candidature en 2020, ou au moins le pousser à un rôle actif dans la future campagne américaine. Je ne peux m’empêcher de penser que les GAFAM vont devoir, à un moment, prendre le pouvoir politique. Car les avancées transhumanistes que leurs dirigeants souhaitent ne sont pas pour demain. Il faut du temps et des mains libres. La règle de Gabor est bien plus simple à appliquer lorsqu’on contrôle le pouvoir. Sans compter que le chinois n’a pas ce genre de problème. Ce concurrent inquiète d’autant plus qu’il est complètement décomplexé dans la deuxième partie de la phrase : «que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable.»

De ce qu’on voit, franchement, les chinois et la morale occidentale, hein… Le cinquième pouvoir est déjà sous contrôle. Les médias, exsangues et perfusés de subventions, ont vu leurs recettes publicitaires s’effondrer. En 2013 en France, un « Fonds pour l’innovation numérique de la presse » a été créé par Google. L’expérience a été tellement riche que ce fonds a été retoqué en 2016 en « Digital News Initiative » européen, histoire d’élargir le cercle des financés qui feront gentiment partie de la galaxie Google.

Toutes les affaires (Sénat, Parlement Européen, RGPD et les futures…) montrent bien que les politiques ont vu arriver le danger, leur perte de pouvoir imminente, la volonté d’une « nation start-up » portée par les GAFA.

Au lieu de se focaliser sur leur déclin, tout ce beau monde ne ferait-il pas mieux de réfléchir à un autre mot de la règle de Gabor : « moralement » ?

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