Universités : nos «révolutionnaires» ont l’état d’esprit de préretraités de 20 ans

AUTEUR DE LA PUBLICATION

 

Depuis Mai 68, chaque printemps fait courir dans nos amphithéâtres un frisson de révolte.Ce cinquantième anniversaire donne lieu à des soubresauts plus importants que d’habitude, le projet de réforme aidant. Les universités «bloquées» sont le signe du profond malaise d’un système d’enseignement supérieur qui n’a jamais bien réussi à négocier la rapide massification qui lui fut imposée. Mais, plus fondamentalement, elles sont des concentrés des maux français.

Le premier est l’aveuglement et la complaisance d’une partie de l’opinion face aux grossières manipulations d’une poignée d’agitateurs. Les prétendues assemblées générales, nous le savons tous, sont des parodies de consultations démocratiques au moyen desquelles une minorité prend le pouvoir. Depuis la révolution d’Octobre la méthode est la même: décréter que l’on représente «le peuple» pour mieux l’asservir, faisant taire les réticents par la force.

Mais, derrière la fraîcheur naïve des mises en scènes contestataires ne se cache pas seulement la vieille lune de la tentation collectiviste, donc totalitaire. Chez certains étudiants, la nostalgie d’événements mythiques qu’ils n’ont pas connu se mêle à la tentation moins avouable de ne pas trop s’épuiser à réviser.

C’est là le paradoxe d’un mouvement qui, en 2018, ressemble plus que jamais, en dépit de ses prétentions à l’audace,à une protestation de préretraités de 20 ans. Le «blocage» des universités est le symptôme d’une France sénile prématurément retombée en enfance.

Bloquer les aiguilles

Le plus stupéfiant dans la revendication des étudiants n’est peut-être pas le refus buté d’une sélection au mérite en lieu et place d’un indéfendable tirage au sort. C’est ce qu’elle révèle de leur attitude envers la vie. La psychologie nous apprend que le jeune enfant passe du principe de plaisir, dans lequel il pense que tout lui est dû et que la satisfaction de ses désirs doit être immédiate, au principe de réalité, qui prend acte de l’impossibilité de plier le monde à ses volontés. Une partie de notre jeunesse peine de toute évidence à atteindre le second stade.

«Il semble qu’une partie des jeunes Français rêvent surtout de revenu universel et de protection contre les heurts de l’existence»

Que comprendre en effet, dans la revendication affichée par certains ténors du mouvement d’obtenir au minimum la moyenne à leurs examens, si ce n’est qu’il s’agit d’obtenir un droit au diplôme, préalable assez logique aux droits-créances qui se sont multipliés, au détriment des droits-libertés? Nombre de nos concitoyens, jeunes ou vieux, se vivent avant tout comme des créanciers de la société.

Mai 68 était d’une certaine façon le soulèvement d’une jeunesse qui voulait secouer les conventions et embrasser la modernité. Mai 2018 s’annonce comme le mouvement de ceux qui refusent que le monde bouge. Il s’agissait il y a cinquante ans de mettre l’horloge de la France à l’heure de son temps ; il s’agit aujourd’hui d’en bloquer les aiguilles pendant que partout ailleurs le temps s’accélère.

On rêve du grand soir, mais avec assurance-chômage incluse.On revendique le partage et la solidarité, mais de préférence pour profiter du travail des autres, faisant penser au mot de Labiche: «Un égoïste est quelqu’un qui ne pense pas à moi.» Ce romantisme au quinoa n’est pas mû par l’ivresse de l’aventure, mais par la perspective de traitements à vie, de pensions garanties et de bonne couverture santé. Alors que le monde entier dévore l’avenir en traçant de jour en jour les chemins d’un futur vertigineux, il semble qu’une partie des jeunes Français rêvent surtout de revenu universel et de protection contre les heurts de l’existence. Veut-on malgré tout une raison d’espérer? Cette partie de la jeunesse, heureusement, n’est pas représentative de la nouvelle génération, qui bouillonne au contraire de dynamisme et de courage. On peut seulement regretter qu’elle contribue à dégrader encore l’image d’une université française qui n’en a guère besoin.


Publié dans le Figaro

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