Infirmiers à l’hôpital en voie de disparition : l’autre bombe sanitaire

Peur sur l’hôpital. Alors que déferlent les vagues successives de l’épidémie de Covid-19, une autre crise sanitaire sévit, celle des départs de l’hôpital des personnels infirmiers. Les flux et reflux de l’épidémie et la tension sur l’activité des établissements hospitaliers mettent à nu et amplifient l’impact et les dégâts subis par les structures de soins, établissements hospitaliers comme cliniques privées, victimes de ce désamour infirmier.

Véritable bombe sanitaire, l’exode du personnel infirmier hospitalier, pierre angulaire du fonctionnement des services de soins, est un problème à la fois grave et prioritaire. Or cette urgence absolue ne saurait être résolue par les seules promesses de recrutements ou de revalorisations salariales que se contentent de proposer la plupart des candidats à l’élection présidentielle.

La pandémie n’a fait qu’accentuer un phénomène latent depuis de nombreuses années. En effet, alors que la durée d’activité d’une IDE (infirmière diplômée d’Etat) dans le même établissement se comptait en dizaines d’années il y a 30 ans, elle est divisée par deux aujourd’hui. C’est donc avec recul et précision que les causes de ce malaise profond doivent être analysées pour tenter d’apporter des solutions à la hauteur des enjeux.

 

Recommandations

Poursuivre l’effort de revalorisation salariale 

Le Ségur de la santé a tenté d’apporter une première réponse dans l’urgence aux professionnels du soins. L’augmentation salariale mensuelle de 183 €, suivie de celle de 107 € au titre de la revalorisation des grilles de catégorie A, pour un infirmier en début de carrière, est un début, mais elle demeure insuffisante au regard des enjeux du secteur et doit donc être poursuivie et régulièrement renouvelée, ceci pouvant s’accompagner de primes spécifiques selon la localisation des établissements, le type de disciplines ou les besoins des services.

Toutefois ne jouer que sur le volet financier ne saurait suffire. L’hôpital et les EHPAD publics ont besoin d’une transformation radicale, un « choc d’attractivité » selon l’expression récente d’une tribune signée par un collectif de près de 1400 médecins de l’AP-HP et des hôpitaux franciliens, pour sortir du cercle vicieux. Les experts de l’Observatoire Santé et Innovation de l’Institut Sapiens préconisent ainsi d’utiliser les leviers de revalorisation extra-salariaux suivants :

 

Favoriser une montée en compétences des personnels

  • Permettre aux aides-soignants de devenir IDE, et à ces derniers de basculer vers le statut d’IPA, grâce aux mécanismes de formation continue, tout en poursuivant le mouvement de développement des IPA au sein de la formation initiale.

 

Prendre soin de ceux qui soignent

  • Créer un climat de confiance, en transformant la pratique managériale pour donner plus de marge de manœuvre aux personnels de soins. La culture managériale verticale à l’hôpital doit absolument être cassée. L’évolution du management doit passer par la poursuite de la déconcentration et plus de délégations, afin de favoriser la prise de responsabilité de l’ensemble des personnels. Une politique d’évaluation et de sélection des pratiques est un préalable essentiel pour y parvenir.

 

  • Suivre les aspirations et les tendances du marché du travail, notamment chez les jeunes, en termes de management. L’hôpital est la plus belle des entreprises, au sens collectif de travail produisant des services pour autrui, et doit ainsi adopter des pratiques managériales faisant la part belle au confort et au bien-être de ses salariés / agents. Pour cela, les professionnels pouvant être amenés à exercer des fonctions managériales durant leur carrière (directeurs d’hôpitaux, chefs de service & chefs de pôle, cadres infirmiers) doivent être sensibilisés et formés à la gestion d’équipe. L’ajout de modules management au sein des formations continues et initiales est un impératif, permettant d’aider les bons techniciens à gérer une équipe de la meilleure des façons, en partant des besoins des soignants.

 

  • Rompre avec le principe exclusif de suivi de cadence et de traçage des temps de travail. A titre d’exemple, les temps de transmission et d’échanges doivent être mieux pris en compte et allongés. Les quotas de personnels par service doivent être ajustés en prenant en compte ces « temps de non-soins », indispensables tant pour le soignant que pour la qualité de la prise en charge du patient (temps de préparation ; transmission ; détente). En finir avec la culpabilisation du temps de détente en horaire de travail, trop souvent assimilé à de l’inactivité.

 

  • Revoir les aménagements spatiaux, en utilisant les 2,5 Mds € d’investissement prévus par le grand plan de relance de l’investissement en santé dans les conclusions du Ségur de la santé, en prévoyant dans les services de soins, de véritables lieux de détente et de « décompression » adaptés pour les personnels.. Il ne s‘agit pas de travailler plus mais mieux, en améliorant la collaboration, la coordination.

 

  • Améliorer concrètement « l’expérience soignants » au travers de « Living Lab » ou laboratoire vivant, associant les concepteurs et les futurs utilisateurs. Plusieurs Living Lab sont actuellement hébergés au sein des hôpitaux (AP HP, Hôpital Foch, CH Annecy…), afin de favoriser le développement de solutions techniques et organisationnelles qui répondent aux besoins des infirmiers (aide au levage des patients, équipements ergonomique, amélioration des déplacements, ergonomie des supports IT…). De manière ponctuelle la mise en place de « living lab éphémères » centré sur l’amélioration de la QVT des soignants est à favoriser.

 

  • Définir une véritable politique de logistique hospitalière à court, moyen et long termes, et un plan d’investissement en regard, au niveau de chaque territoire et en tenant compte de l’offre hospitalière privée, (qui a démontré son indispensable apport complémentaire durant la crise sanitaire) : rénovation et /ou réaffectation de bâtiments existants, , constructions de nouveaux lieux… De ce point de vue le PLFSS 2022, poursuivant une initiative amorcée en 2021, consacre 500M€ sur les 2 milliards consacré au soutien national à l’investissement en santé à la prise en compte du quotidien dans les établissements de santé.

 

 

Renforcer l’attractivité des métiers par la modernisation des outils

Cette recommandation, qui porte sur la maintenance et l’évolution du cadre d’activité à l’hôpital, concerne l’ensemble des professionnels qui exercent à l’hôpital, dont les personnels infirmiers :

  • Rénover totalement le parc informatique hospitalier. Représentant à peine 1,7 %[2] des charges d’exploitation des établissements hospitaliers [3], le SIH (système d’information hospitaliers) est obsolète dans de nombreux hôpitaux. Outre les failles de sécurité que cela génère[4], alors même que les rançonnages des établissements de soins se multiplient en France comme dans le monde entier, la vétusté du parc informatique oblige trop souvent les personnels à s’armer d’une feuille et d’un crayon pour consigner leurs actes et surtout de patience et d’astuce pour avoir accès aux informations patients indispensables. Une perte de temps et de sérénité opérationnels et une perte d’informations, qui accentuent encore davantage le mal-être des agents. La modernisation du parc informatique, l’octroi de tablettes et d’ordinateurs performants et la localisation des SI aux mêmes étages que les services, sont des leviers permettant d’accélérer la digitalisation des hôpitaux et d’éliminer au maximum les tâches administratives ou logistiques sans aucune valeur ajoutée qui, en plus d’être chronophages, minent le moral des personnels.

 

  • Accélérer le référencement des technologies d’e-santé en capacité de faciliter la vie des patients et des soignants et d’améliorer la qualité des soins. En parallèle il faudra également développer des outils d’IA de support à la décision de soins, pour apporter de la rassurance aux personnels, sécuriser les décisions dans un contexte de surmenage ou de remplacement au pied levé d’un personnel absent. Néanmoins, avant d’effectuer ce saut technologique, que l’on pourrait qualifier de « quantique » tant il semble éloigné du quotidien, les hôpitaux doivent en finir avec leurs outils d’un autre temps en mettant l’innovation au service de la QVT. De nombreux professionnels hospitaliers sont par exemple encore obligés d’utiliser des thermomètres buccaux plutôt qu’infrarouges, perdant inutilement un temps précieux. Les hôpitaux doivent également s’équiper en appareils répondant aux besoins quotidiens et pragmatiques des soignants, comme les outils dits « de manutention » qui permettent le levage des patients et réduisent drastiquement la pénibilité du travail et les incapacités temporaires de travail (ITT) qui en résultent.

 

 

Augmenter l’attractivité du métier en (re)valorisant l’image sociétale de l’infirmier

  • Promouvoir une nouvelle identité de « professionnels » ou « experts du soin » réunissant l’ensemble des métiers dits « paramédicaux », afin de mettre en évidence leur rôle en matière de prévention, d’accompagnement de l’acte purement médical et de plus en plus en responsabilité, à la place du médecin, là où l’action de ce dernier n’est pas indispensable : actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique. Ce qui doit contribuer à sortir enfin d’un système de santé « médico-centré », axé sur le curatif qui est encore le nôtre aujourd’hui en France. Cette promotion du métier d’infirmier pourra s’effectuer à travers une campagne nationale de communication, reprenant le modèle de celui de l’armée de terre, s’intitulant par exemple « Infirmier, un métier de cœur ».
  • Décloisonner les corps professionnels, les compétences et leur déclinaison « métier » : favoriser l’acquisition d’un bloc commun de compétences des professionnels en santé, en créant un parcours commun aux études de santé, dans lequel les 3 premières années d’études forment des infirmiers, et dans lequel la spécialisation interviendra à partir du Master.
  • Augmenter le nombre de passerelles entre professions de santé, pour permettre au personnel paramédical de devenir médecin ou d’intégrer les corps de direction hospitalière et permettre aux aides-soignants de devenir IDE, tout en finançant leurs études.
  • Poursuivre l’augmentation des capacités de formations en IFSI et IFAS, tout en travaillant sur les conditions d’accueil en stage, la qualité des stages et sur le contenu pédagogique, par exemple en valorisant la recherche infirmière.

Le suivi de ces recommandations aura un impact financier, qui doit aller au-delà ce que prévoyait l’article 50 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021, (13 Mds € sur les 10 prochaines années). Le besoin financier devra faire l’objet d’une concertation spécifique avec l’ensemble des acteurs, partant d’éléments tangibles et d’indicateurs de suivi et d’impact définis collectivement.

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/09/l-appel-de-670-medecins-de-l-ap-hp-la-culture-du-chiffre-du-blabla-et-des-process-sape-le-moral-des-personnels-hospitaliers_6105255_3232.html

[2] Contre 2 à 9% pour les entreprises privées

[3] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/e-sante/sih/article/atlas-des-systemes-d-information-hospitaliers

[4] https://www.institutsapiens.fr/les-etablissements-de-sante-doivent-avoir-une-gouvernance-centralisee-de-la-donnee/

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