Douleur chronique – interview

Réduire les douleurs rebelles, ces thérapies qui utilisent la technologie

Le regard de Marc Lêveque, Neurochirurgien

On estime que plus de 30% de la population française souffre de douleurs chroniques. Si les avancées de la science et de la médecine ont permis d’améliorer sensiblement la vie de nombreux patients, il y a des douleurs encore très difficiles à traiter. C’est ce que l’on appelle les douleurs neuropathiques, causées par une lésion du système nerveux. Elles concernent 8 à 12% des français, soit entre 4 et 6 millions de personnes. Ces douleurs peuvent être liées à des atteintes aux systèmes nerveux central et périphériques, c’est à dire des lésions au niveau du cerveau, de la moelle épinière ou des nerfs. Elles sont aujourd’hui fréquentes mais les solutions progressent et permettent un soulagement de plus en plus net. Nous faisons le point avec Marc Lévêque, neurochirurgien à Marseille et Aix-en-Provence.

Douleurs chronique : Bonjour Docteur, pour commencer pouvez-vous nous expliquer concrètement comment fonctionne la douleur chronique ?

Marc Levêque Pour bien comprendre le mécanisme de la douleur chronique, nous pouvons filer la métaphore du dispositif d’alarme d’une maison. Lorsqu’il y a une « effraction » dans notre corps (une brûlure, une coupure etc.), l’alarme se déclenche pour nous envoyer un signal d’alerte et nous indiquer qu’il s’est passé quelque chose afin de nous faire réagir.

La douleur neuropathique, c’est lorsque la douleur se met à dysfonctionner : l’alarme va retentir alors même qu’il n’y a pas d’effraction dans la « maison ». Notre circuit de la douleur est endommagé, à l’image d’un court-circuit dans un système de surveillance la sirène retentit, elle devient assourdissante mais ne sert à rien et peut avoir plusieurs origines. Elle peut être lié à un traumatisme, à une chirurgie ou à une maladie. Cette sensation désagréable décorrélée d’une agression dans votre maison est une douleur qui n’a plus d’utilité car elle ne signale plus d’effraction ou d’atteinte de votre intégrité physique. Cette douleur peut rapidement devenir chronique et impacter le quotidien des patients sur le temps long.

DC : Les douleurs neuropathiques sont difficiles à traiter, mais il existe heureusement des thérapies, quelles solutions avons-nous à notre disposition aujourd’hui ?

 ML : Aujourd’hui il existe trois catégories (les antiépileptiques, les antidépresseurs et les morphiniques) de médicaments, du plus léger au plus fort, pour agir aux différents paliers de la douleur, des analgésiques aux opioïdes plus forts. Ces derniers entraînent trop souvent des phénomènes de dépendance, d’accoutumance, et d’hyperalgésie induite. Mais d’autres techniques existent et peuvent être efficaces pour traiter des douleurs très localisées.

Plusieurs possibilités thérapeutiques s’offrent à nous devant les douleurs neuropathiques. Des traitements par voie générale, c’est à dire qui diffuse dans tout l’organisme, dont l’efficacité est souvent faible avec des effets secondaires non négligeables, la possibilité de traitements locaux avec l’application de patch ou des injections locales lorsqu’il s’agit de petites surfaces douloureuses. Quand on est confronté à des territoire plus large, la neuromodulation offrent d’intéressants résultats qu’il s’agisse de la stimulation médullaire ou de la stimulation magnétique transcrânienne.

DC : A qui s’adresse le traitement de la douleur chronique par neuromodulation ? De quoi s’agit-il concrètement ?

ML : Comme nous l’avons vu, dans de nombreux cas les solutions médicamenteuses sont limitées en termes d’efficacité et mais pour certaines fortes en d’effets secondaires. Les traitements par neurostimulation, et notamment la thérapie par stimulation médullaire permettent une approche beaucoup plus ciblée et est souvent plus efficace.

Dans le cas de la stimulation, nous utilisons des petites impulsions « électriques » pour soigner les douleurs neuropathiques rebelles. Le patient dont la douleur évolue depuis plus d’un an, malgré des traitements médicamenteux bien conduits, peut bénéficier de cette méthode, dès lors que les répercussions de la douleur sur sa vie quotidienne et son moral sont importantes.

L’évolution des technologies et le recul que nous avons aujourd’hui sur ces techniques depuis soixante ans, nous permettent de relever le défi et de proposer cette thérapie afin de soulager toujours plus de patients douloureux chroniques.

L’imagerie cérébrale, par exemple, permet de mieux visualiser et de mieux comprendre les mécanismes activés dans le traitement de la douleur. Lorsque l’on stimule en même temps certaines zones, on s’aperçoit que les phénomènes sensoriels ne siègent pas uniquement dans la moelle épinière mais aussi au niveau cérébral. On remarque par exemple l’activation du système limbique, le cerveau des émotions. Ce dernier gère nos affects agréables et désagréables et joue un rôle fondamentale dans l’appréciation et le traitement de la douleur.

Car dans la douleur, il y a bien deux dimensions. D’une part la dimension sensori-discriminative qui correspond à notre capacité à analyser la nature, la localisation, l’intensité et la durée du stimulus. D’autre part, il ne faut pas oublier la dimension affective-émotionnelle qui vient teinter la dimension sensori-discriminative d’un affect désagréable. Il faut bien comprendre le fonctionnement de ces deux dimensions, car les émotions viennent colorer les sensations douloureuses et les transformer en souffrance.

DC : Quelles technologies interviennent dans les thérapies de neuromodulation ?

ML. : Pour découvrir les différentes techniques nous pouvons suivre le cheminement d’un nerf en partant des récepteurs nerveux pour aller jusqu’au cortex cérébral. Autrement dit, partout où l’information douloureuse chemine, nous allons moduler les messages douloureux en stimulant ces récepteurs avec les techniques de neuromodulation.

Le système nerveux prend sa source au niveau des récepteurs à la surface de la peau. Ici nous utilisons ce que l’on appelle la stimulation cutanée, la TENS, autrement dit une stimulation qui va troubler une information au niveau des petits nerfs de la peau. Ce “brouillage” des nerfs et des ganglions s’effectue notamment par la libération de médiateurs inhibiteurs comme les endorphines ou la sérotonine. Les nerfs cutanés pouvant moduler un grand nombre de fonctions.

Nous avons ensuite le système nerveux périphérique.  Ici nous pouvons moduler le message nerveux par la stimulation nerveuse périphérique, soit au niveau des nerfs, soit au niveau du ganglion dorsal (DRG).

Le message douloureux arrive ensuite dans la moelle épinière où se trouve une sorte de portillon. Il existe, en effet, dans la moelle épinière, un petit portail électrochimique, laissant passer une sensation à la fois. Si une sensation non douloureuse, comme une caresse, parvient à notre moelle épinière, elle est prioritaire sur une perception douloureuse, telle une brûlure. La théorie du portillon explique pourquoi, lorsque nous recevons un coup, nous avons l’habitude de nous frotter vigoureusement. La technique de stimulation médulaire découle de ce principe. On combat la douleur en stimulant en permanence, par un courant électrique, la sensibilité. Là encore nous pouvons agir sur le message douloureux grâce à la neuromodulation.

Ensuite nous arrivons au centre de contrôle, le thalamus, au coeur du cerveau. Ce dernier est une sorte de gare de triage qui reçoit le message douloureux et le projette sur différentes zones du cerveau. C’est la technique de stimulation cérébrale profonde qui va agir au niveau du thalamus, à l’endroit où le message part dans différentes directions vers la surface du cerveau et ses aires corticales. On vient alors agir sur certaines parties du thalamus, un relai essentiel sur la voie de la douleur.

Nous avons aussi à notre disposition, au niveau du cerveau, une méthode de stimulation corticale non invasive, la RTMS (stimulation magnétique transcrânienne) qui permet de stimuler le système nerveux central pour moduler le circuit de la douleur en favorisant les mécanismes de contrôle.

La TENS, la stimulation médullaire et la RTMS sont aujourd’hui trois traitements efficaces des douleurs neuropathiques rebelles.

DC : Quelles sont les avantages et les inconvénients de ces thérapies de neurostimulation ?

ML : L’avantage est l’efficacité qui est démontrée à long terme chez des patients qui étaient en impasse thérapeutique. Résumé en chiffres, c’est 65% des patients qui ont un soulagement supérieur à 50% avec bien évidemment une amélioration de leur qualité de vie*.

Nous pouvons avoir, dans environ 5% des cas le risque d’infection (autrement dit, d’un germe qui se fixe sur le matériel). Dans ce cas, il faudra enlever le matériel pour le réimplanter après guérison de l’infection.

N’oublions pas ensuite, comme pour tout traitement le risque d’échec.

Enfin, mentionnons le risque de déplacement de matériel ou de dysfonctionnement du dispositif, ce dernier est aujourd’hui minime. Le risque de lésion de la moelle épinière est extrêmement faible.

Aujourd’hui, bien entendu la balance bénéfice risque est indiscutablement en faveur de ces traitements de neuromodulation. D’autant plus que la miniaturisation, l’informatique embarqué et la bio compatibilité rendent ces dispositifs de plus en plus performant